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Les sacrifices : Toronto et le Dr. Grasett


Cette thème intitulé « Les sacrifices : Toronto et le Dr. Grasett » raconte l’histoire des soignants canadiens qui sont morts en traitant les immigrants irlandais débarquant en Ontario à l’été et à l’automne 1847 : un médecin torontois, le Dr. George Robert Grasett, l’Agent de l’immigration Edward McElderry et l’Évêque de Toronto Michael Power. On pourra y lire un journal personnel encore jamais publié, celui de John Young, qui a accompagné les immigrants de la Famine depuis Grosse-Île jusqu’à Montréal, Kingston, Toronto et Hamilton. On pourra aussi lire des récits saisissants du journal The Church, un hebdomadaire publié au Canada pour les fins de l’Église Unie de l’Angleterre et de l’Irlande. Ces récits, tirés du fonds d’archives Nancy Mallett et conservés à la Cathedral Church of St. James de Toronto, ont été numérisés dans le cadre de cette exposition virtuelle.

L’archiviste Nancy Mallett et Robert G. Kearns racontent l’histoire du sacrifice de Dr. George Robert Grasett

L’hôpital pour immigrants de Toronto

Pendant l’été 1847, environ quarante mille immigrants irlandais ont embarqué sur un bateau à vapeur pour remonter le Fleuve Saint-Laurent et traverser le Lac Ontario, de Kingston à Toronto. Moins de vingt mille personnes habitaient alors Toronto. Ces bateaux étaient souvent beaucoup trop chargés et plusieurs personnes étaient atteintes du typhus. L’ordre devait être rétabli au sein des groupes d’immigrants en souffrance. L’Agent de l’immigration de Toronto, Edward McElderry, et ses employés ont travaillé sans relâche à soigner les malades et à s’assurer que les nouveaux arrivants puissent atteindre la destination qu’ils s’étaient fixés. Ceux ayant les moyens financiers et ne présentant pas de symptômes étaient conduits illico dans les villages de la campagne ontarienne ou encore aux États-Unis. Ceux montrant des symptômes de la terrible fièvre des navires étaient conduits vers le Dr. George Robert Grasett et ses employés à l’Hôpital pour immigrants de Toronto. Les femmes et les orphelins étaient emmenés à l’Asile pour veuves et orphelins.

L’Hôpital pour immigrants de Toronto était situé au coin des rues King et John. C’était un endroit où compassion et grande souffrance se donnaient quotidiennement rendez-vous. La capacité de l’hôpital a été rapidement atteinte et l’on a dû construire des baraques de fortune, sans murs, sur les lieux. Pour combattre la voracité des moustiques, le personnel soignant devait accrocher des filets à fromage en guise de murs, mais qui laissaient entrer l’air frais. Au moins 12 baraques de fortune de 22 mètres de longueur et de 7,5 mètres de largeur, seront ainsi construites. À la fin de l’année 1847, 1 816 immigrants y auront perdu la vie. Ils ont été enterrés dans les lots du cimetière St. James ou de la Cathédrale anglicane située sur la rue Parliament, au sud de la rue Bloor. D’autres ont été enterrés dans la cour jouxtée à l’église paroissiale catholique romaine St. Paul, sur la rue Queen Est. On a commémoré le personnel soignant canadien dans le Dr. George Robert Grasett Park, situé sur les lieux exacts où se tenait l’Hôpital pour immigrants de Toronto. Les sculptures de verre, imitant les baraques de fortune de l’époque, rendent ce parc tout à fait unique.

La mort d’un médecin, le Dr. Grasett

C’est le 16 juillet 1847 qu’est mort le Dr. George Robert Grasett, celui qui avait soigné tant d’immigrants irlandais de la Famine, malades et infectés par la contagion, à l’Hôpital pour immigrants de Toronto. Durant l’été, pas moins de 38 650 immigrants irlandais ont débarqué au quai Reese du port de Toronto et ont été conduits à l’Hôpital pour immigrants, au coin des rues King et John. La ville de Toronto ne comptait alors pas plus de 20 000 habitants.

Le Dr. Grasett s’est efforcé de sauver le plus d’Irlandais et d’Irlandaises de la Famine, se mettant lui-même à risque. Quelques semaines plus tôt, le 22 juin 1847, la Commission de la Santé de Toronto, par la voix de son directeur George Gurnett, l’avait nommé au poste de superviseur médical de l’hôpital. Le 2 juillet 1847, Gurnett lui avait écrit pour demander d’envoyer du personnel de la santé pour inspecter tous les bateaux à vapeur accostant au quai Reese du port de Toronto. L’idée était d’empêcher les immigrants irlandais de répandre la contagion et les maladies infectieuses, comme le typhus, au sein de la population torontoise.

Deux semaines après, le Dr. Grasett est tombé malade. Il est mort après avoir contracté la fièvre des navires. Ses lettres, sa carte mortuaire pour les funérailles, ainsi que les mots de condoléances écrits par la House of Industry ou par l’Évêque Strachan (John Toronto) à son frère, le Révérend Henry Grasett, peuvent être trouvées au Nancy Mallett Archive and Museum, Cathedral Church of St. James.

La couverture journalistique de la mort de Dr. Grasett

La mort de Dr. Grasett a été couverte par le journal The Church les 16 et 23 juillet 1847.

« Nous arrêtons toutes les presses pour vous annoncer cette information mélancolique, à l’effet que le Dr. Grasett est mort ce matin à 7h00, dans la maison de son frère, le Révérend H.J. Grasett », peut-on lire dans ce journal le 16 juillet 1847.

Le 23 juillet, le journal rajoutait ceci : « Pendant son bref passage dans notre ville, il a réussi à s’attirer une réputation très enviable et méritée, en travaillant sans cesse et de façon désintéressée à soigner les pauvres et les indigents qui n’avaient rien à lui donner pour son dévouement et de son amour, si ce n’est que des larmes et des prières remplies d’affection et de gratitude. »

« Depuis sa nomination comme intendant de l’hôpital », écrit encore le journal British Colonist du 20 juillet 1847, « il n’a cessé de contenir la maladie et à adoucir les souffrances vécues par ceux qui ont dû quitter leur pays en raison de la famine, de la pestilence, arrivant parmi nous pour trouver refuge auprès de leurs frères et sœurs. »

Le journal a rendu ainsi hommage à Dr. Grasett :
« La tâche accomplie fidèlement – trop fidèlement – il est tombé malade en nous laissant seulement sa gentillesse en souvenir – ses efforts et les grands services médicaux qu’il a rendus, offrons une prière pour celui qui est ‘mort de la mort du juste’ et demandons que notre ‘propre mort ressemble à la sienne’. »

Un paragraphe publié dans l’encadré d’un journal.
Le journal The Church, 16 juillet 1847,
annonce la mort de Dr. George Robert Grasett.
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Un paragraphe publié dans l’encadré d’un journal.
Le journal The Church, 23 juillet 1847,
« La mort de Dr. Grasett ».
Afficher la transcription
Six paragraphes publiés dans l’encadré d’un journal.
Notice nécrologique de Dr. Grasett dans le British Colonist, 20 juillet 1847.
Afficher la transcription

Le journal de la Famine de John Young

Les conditions de vie épouvantables à bord des bateaux à vapeur emmenant les Irlandais et les Irlandaises de la Famine ont été notées par un témoin oculaire de l’époque, John Young. M. Young était un émigrant de Glasgow, en Écosse, qui a débarqué à Ancaster, en Ontario, aux mois de juillet et août 1847. Son journal personnel et encore jamais publié est écrit à la main et il est conservé au Nancy Mallett Archive and Museum, un centre nommé ainsi pour rendre hommage à l’archiviste Nancy Mallett, l’une des descendantes de John Young.

Illustration en noir et blanc du buste et du visage d’un homme d’âge mûr, chauve et barbu.
Portrait de John Young.
Journal personnel à la couverture brune et à la reliure verte quelque peu effilochée, installé sur une feuille blanche reposant sur une table égratignée à quelques endroits.
Le journal personnel de John Young, conservé au Nancy Mallett, Archive and Museum, Cathedral Church of St. James, Toronto.
Page manuscrite du journal personnel. Le journal est déposé sur une table brune que l’on perçoit un peu dans le bas et le haut de l’image.
La première page du journal personnel de John Young, écrite de sa main, à Glasgow le 23 juin 1847.
Journal personnel à la reliure verte quelque peu effilochée, reposant de biais sur une table égratignée à quelques endroits.
Deuxième image du journal personnel de John Young, conservé au Nancy Mallett, Archive and Museum, Cathedral Church of St. James, Toronto.
Dame souriante, portant des lunettes et tenant entre ses mains le journal personnel à la couverture brune. Elle est assise à la table de couleur brune. Plusieurs fonds d’archives et des dossiers de couleur grise sont aperçus sur les étagères, à l’arrière-plan.
Nancy Mallett tient le journal personnel de son ancêtre John Young, au centre d’archives qui porte son nom, à la Cathedral Church of St. James de Toronto.

L’archiviste Nancy Mallett et Shannon Quigley lisent un extrait du journal personnel de John Young à son arrivée au Canada en 1847

L’archiviste Nancy Mallett et Shannon Quigley lisent un extrait du journal personnel de John Young à son arrivée à Toronto en 1847

John Young :
« Traités comme du bétail »

Le 12 août 1847, John Young a décrit les conditions de vie accablantes vécues depuis son embarcation à Kingston, sur le bateau à vapeur le Princess Royal.

« Nous n’avions pas encore accosté, mais on a pu passer près du bateau à vapeur le Princess Royal, à destination de Toronto et qui mouillait le quai. Nous sommes montés dans ce bateau. Le bateau s’est mis en mouvement et nous pensions que nous partions pour de bon, mais ce fut de courte durée, accostant à un autre quai bondé de quelques milliers d’immigrants irlandais. Les émigrants sont aussi montés. Nous étions assez inquiets puisque plusieurs d’entre eux étaient malades et, une fois à bord, nous n’avions plus de place pour bouger. Père s’est plaint au capitaine et il a offert de payer une cabine afin de sortir de là, mais il a été reçu avec toute l’insolence du capitaine Twohey. Nous nous tous accroupis dans un coin, tentant du mieux que l’on pouvait de rester à l’écart des autres.

Le lendemain, 13 août, le bateau est arrivé à Toronto, là où Young a pu observer le traitement difficile auquel devaient faire face les immigrants qui y débarquaient.

Ici, la cargaison d’êtres humains a pu sortir. Ils ont été traités comme du bétail, mais nous nous sommes rebellés quand ils ont essayé de faire la même chose avec nous. Ils ont été repoussés, gardés distance à l’aide de bâtons, jusqu’à temps que leurs bagages aient tous été éparpillés. »

Les Irlandais de la Famine et le cimetière de Burlington Heights, à Hamilton

En plus de Toronto, plusieurs immigrants irlandais ont péri à Hamilton. Les plus indigents d’entre eux ont été enterrés sur place, dans le vieux cimetière du temps du choléra à Burlington Heights. Le journal Hamilton Spectator rappellera l’histoire des gens décédés durant la Famine, des décennies plus tard, le 6 août 1890, « rapidement placés dans les cercueils et conduits en char, parfois six ou sept à la fois, à Burlington Heights, au nord du canal, là où ils furent enterrés sans trop de formalité. » Le journal notera que le vieil homme chargé d’inhumer les immigrants « a conçu un cercueil dont le fond s’ouvrait et pouvait laisser glisser les corps dans la fosse – swoosh ! – tombant ainsi sur la couche de sable qui servira au repos éternel. » Le cimetière de Burlington Heights n’a pas été consacré sur le plan religieux. Sombre lieu du dernier repos pour tant d’immigrants irlandais de la Famine.

Inscription sur une plaque verte et rectangulaire, installée sur un imposant socle de pierre de couleur grise. De l’herbe verte est aperçue à l’arrière-plan.
La plaque historique de Burlington Heights, Hamilton. « Lieu du dernier repos de soldats inconnus, d’immigrants et de citoyens. Guerre de 1812-1814. Fièvre des navires 1847-1848. Choléra 1854-1855. Dévoilée par madame F. F. Trelkaven, 20 juin 1926 »

Dr. Laura Smith rappelle l’importance de Burlington Heights

Le trajet emprunté par les immigrants irlandais de la Famine en Ontario

Le trajet emprunté par les immigrants irlandais de la Famine en Ontario
Le trajet emprunté par les immigrants irlandais de la Famine en Ontario

Trajet 1:

  1. Montreal
  2. Ottawa
  3. Eganville

Trajet 2:

  1. Montréal
  2. Kingston
  3. Toronto
  4. Hamilton

Trajet 2A:

  1. London

Trajet 2B:

  1. Niagara

Trajet 3:

  1. Cobourg
  2. Peterborough

Trajet 4:

  1. Kingston
  2. Ottawa

Le sacrifice des soignants canadiens : l’Agent de l’immigration Edward McElderry

En plus du médecin, le Dr. Grasett, d’autres soignants canadiens ont contracté le typhus et en sont morts à Toronto. C’est le cas de l’Agent de l’immigration de la ville de Toronto, Edward McElderry qui a péri le 29 octobre 1847. Stephen De Vere a noté dans son journal personnel, le 6 novembre 1847 : « J’ai été consterné d’apprendre le décès du pauvre McElderry, ayant contracté la fièvre à Toronto. »

L’employeur de McElderry, l’Agent-en-chef de l’immigration pour le Haut-Canada, Anthony Bowden Hawke, a rendu hommage à son employé dans une lettre écrite le 9 novembre. Hawke se disait aussi consterné par la mort de McElderry « qui a laissé une veuve et 8 enfants derrière lui – le plus vieux n’ayant que 13 ans – et dans la plus grande indigence. Je n’ai jamais vu une famille aussi frappée. Il était un homme bon, dans tous les domaines de la vie et il est tombé à la tâche. S’il avait eu un peu moins de zèle, il aurait pris soin de récupérer de la fièvre, mais il a décidé de continuer à travailler avec force, laissant la dysenterie l’achever. »

La tombe de la famille McElderry se trouve au cimetière catholique de l’église St. Joseph, à Guelph. On a commémoré sa vie par un vitrail de la Basilica of our Lady Immaculate à Guelph.

McElderry n’a pas été le seul à être « tombé à la tâche » chez les soignants canadiens. Les infirmiers John McNabb et Richard Jones, de l’Hôpital pour immigrants de Toronto, sont aussi décédés à la suite de leur travail, respectivement les 25 et 24 août 1847. L’infirmière-en-chef Susan Bailey est décédée le 30 août. L’infirmier Sarah Duggan, âgée de 18 ans, est décédée le 8 septembre. Un médecin, Dr. Joseph Hamilton, est décédé le 15 novembre. Le successeur de McElderry, un médecin du nom de Dr. Denis Robert Bradley, a été nommé Agent de l’immigration de Toronto en 1848. Il a attrapé le choléra l’année suivante, y laissant sa peau le 13 janvier 1850.

Professeur Mark McGowan rappelle l’histoire de l’Agent de l’immigration Edward McElderry

Le sacrifice des soignants canadiens :
l’Évêque de Toronto Michael Power

L’Évêque de Toronto Michael Power est aussi décédé du typhus le 1er octobre 1847, après avoir pris soin d’immigrants irlandais.

Sa mort a fait l’objet d’une remarque dans le journal personnel de Stephen De Vere. Le 29 septembre, De Vere a noté que l’Évêque Power était « gravement atteint du typhus ». Le 1er octobre, De Vere a inscrit une rubrique nécrologique personnelle tout à fait émouvante :

« Le Révérend Michael Power, Évêque catholique de Toronto, est mort ce matin. C’était un humble Chrétien, un homme généreux et noble, gentil et charitable dans ce qu’il y a de plus vrai. En montrant l’exemple, par son esprit de justice, par l’exécution assidue des lourdes tâches qui lui étaient confiées et par sa discipline inébranlable, il avait réussi à organiser un diocèse laissé à l’abandon avant lui. À l’heure où plusieurs membres du clergé tombaient malades, il a tenu à visiter le lit de tous les immigrants malades et mourants et sa mort, selon la volonté de la providence, est attribuable à ce noble dévouement. Il n’a pas pensé à lui en premier, mais Dieu l’a empêché de vivre plus longtemps sur cette terre. Il ne faisait pas de politique partisane et n’était pas sectaire dans la religion. Il était trop intelligent pour devenir un bigot et trop sage pour faire dans la partisannerie. Il était ainsi respecté et aimé par les hommes de toutes confessions et de tous partis politiques. Puisse Dieu apporter miséricorde à son âme. »

La Fondation Canada-Irlande et l’exposition virtuelle sur Récits de l’immigration irlandaise de la Grande Famine en Ontario commémorent le sacrifice des professionnels de la santé et des leaders religieux qui ont donné leurs vies en prodiguant des soins aux immigrants irlandais de la Famine.

Portrait du buste de l’Évêque de Toronto, Michael Power, arborant une chevelure brune et vêtu d’une robe rouge.
Le portrait de l’Évêque torontois Michael Power, mort le 1er octobre 1847 en donnant des soins aux immigrants irlandais à Toronto.
Sculpture d’une femme qui tient un homme mourant dans ses bras. Statue installée sur un socle de couleur grise. La façade d’une église est aperçue à l’arrière-plan.
Le monument en hommage à l’Évêque Michael Power, à la Basilique St. Paul, Toronto.
Plaque historique de couleur brune, installée sur un socle de couleur grise, illustrant le buste et le visage d’un homme vêtu d’un habit religieux.
La plaque sur le monument en hommage à l’Évêque Michael Power, à la Basilique St. Paul, Toronto.
Inscription sur la plaque du monument : « À la mémoire des immigrants irlandais qui ont été enterrés sous le terrain adjacent en 1847 et en honneur à Monseigneur Michael Power, D. D., premier Évêque du Diocèse de Toronto, qui a donné sa vie à ses fidèles atteints de la fièvre. Ce monument a été pieusement consacré. »

Professeur Mark McGowan rappelle l’histoire du sacrifice de l’Évêque Michael Power