Les orphelins de la Famine à Kingston et à Toronto
Le quatrième thème de l’exposition virtuelle aborde l’histoire des orphelins de la Famine à Kingston et Toronto. Ce thème met l’accent sur le destin et la résilience de ces enfants immigrants qui ont perdu leurs parents au cours de la traversée transatlantique ou dans les baraques de fortunes érigées un peu partout au Canada. De nombreux immigrants ont terriblement souffert dans les baraques de fortunes aménagées sur le bord de l’eau à Kingston, en Ontario, là où plus de 1 400 Irlandais et Irlandais sont morts en 1847. Une partie de leur histoire a pu être retracée grâce aux Annales rédigées par les Sœurs Hospitalières de Saint-Joseph. Ces écrits ne révèlent pas seulement à quel point les Sœurs avaient de la compassion pour les jeunes orphelins, mais aussi comment les religieuses, dans un monde où les femmes n’étaient pas toujours bien considérées, ont réussi à attester de leur indépendance et à faire valoir leur sens de l’initiative.
Le professeur Mark McGowan à la croix celtique et au mémorial de la Famine à l’An Gorta Mor Park de Kingston
Les Irlandais de la Famine à Kingston
En Ontario, c’est à Kingston que sont décédés le plus grand nombre d’Irlandais et d’Irlandaises de la Famine à l’été 1847. Environ 1 400 personnes ont été enterrées dans une fosse commune située au sud de l’actuel Hôpital général de Kingston. Affaiblies et exposées aux maladies infectieuses, elles avaient dû faire un trajet de plusieurs jours, collées comme des sardines sur le pont de bateaux à vapeur en partance de Montréal. Ces conditions n’étaient pas sans rappeler celles des bateaux-cercueils qui traversaient l’Atlantique. Comme l’a observé Stephen De Vere : « Des cas de fièvre ont été remarqués sur à peu près tous les bateaux – et certains y sont morts – les cadavres et les vivants serrés les uns sur les autres. Parfois, les passagers étaient installés sur des barges à aires ouvertes, remorquées par les bateaux à vapeur, rassemblés comme des cochons qu’on entasse sur le pont des paquebots à Cork ou à Bristol. »
Les Irlandais et Irlandaises de la Famine ont été traités par les Soeurs Hospitalières de Saint-Joseph, dans les baraques de fortune aménagées au coin des rues Emily et King, près des quais de Kingston. Les Annales qu’elles ont rédigées témoignent, en détail et avec émotion, des souffrances vécues par les immigrants irlandais. Des monuments commémoratifs ont été installés à l’An Gorta Mor Park (une expression qui signifie, en langue irlandaise, « La Grande Famine ») et une croix celtique a été érigée en 1998 par la Kingston Irish Famine Commemoration Association. En 1966, certains des restes humains trouvés près de l’Hôpital général de Kingston ont été ré-inhumés dans le cimetière St. Mary. Ils sont aussi commémorés par un monument appelé Angel of Mercy, dans le même cimetière. Des citoyens de Kingston, aussi décédés de la fièvre en 1847, sont honorés par une croix celtique dans le McBurney (« Skeleton ») Park. Il existe donc de nombreux monuments, mais la plupart des restes humains du temps de la Famine reposent toujours dans la fosse commune, commémorés par une simple plaque, près de l’Hôpital général de Kingston.
Les monuments aux Irlandais et Irlandaises de la Famine à Kingston
Le Noël des orphelins à Kingston : « C’était très pénible à voir »
Les Soeurs Hospitalières de Saint-Joseph (aussi appelées les Soeurs de l’Hôtel-Dieu) ont figuré parmi les principaux soignants d’immigrants irlandais de la Famine à Kingston. Elles venaient tout juste de s’y établir en 1845, arrivées de Montréal, et y fondèrent l’Hôpital Hôtel-Dieu. Tout comme ce fut le cas pour les Soeurs Hospitalières de Montréal ou encore les Soeurs Grises de Soeur Bruyère à Bytown, elles ont été bouleversées par l’arrivée de tant d’Irlandais et d’Irlandaises. Elles ont écrit au sujet des moments pénibles vécus en 1847, dans les Annales de l’Hôtel-Dieu. Elles y parlent d’une seule voix et racontent « les tourments endurés par les pauvres Soeurs ». Les Annales rendent aussi hommage à l’une d’entre elle « qui a attrapé du typhus et ont dû être emmenées dans un coin isolé de notre hôpital Hôtel-Dieu. La pauvre Soeur McGorian y est morte, après un long délire, implorant pourtant jusqu’à la fin de retourner soigner les malades dans les baraques de fortune. »
Les Annales dévoilent également les sentiments d’affection entretenus par les Soeurs envers les orphelines et les orphelins irlandais. Elles rappellent, par exemple, l’arrivée de plusieurs orphelines à la Veille de Noël 1847. Les Soeurs ont alors dû leur servir le repas « par tablées, puisque nous n’avions pas assez de vaisselle pour ne faire qu’un seul service… ; les pauvres enfants ont mangé debout, 10 personnes à la fois, ce qui a pris beaucoup de temps. » Les Annales racontent aussi toute la tristesse vécue par les Soeurs qui devaient laisser partir les orphelins et orphelines dans leurs familles d’adoption. Elles attestent de la peine encourue par ces séparations, après avoir passé plusieurs mois intenses à nouer des relations avec les orphelins et orphelines en 1847 et 1848.
Prendre soin des orphelines et orphelins irlandais de la Famine
« C’était très pénible à voir » : l’histoire des orphelines et orphelins irlandais de la Famine chez les Soeurs Hospitalières
Décembre 1847. En décembre 1847, la cheminée du pavillon des hommes a pris feu et notre Sœur Dupuis, qui l’a vu en premier, a pris peur et, sans y penser, elle est allée chercher Sœur Clémence, une postulante, au Collège situé l’autre bord de la rue. La postulante est entrée sans hésiter : un petit incident qui nous a bien fait rire puisque les postulantes ne doivent normalement jamais sortir du cloître. « Il s’agit évidemment d’une coutume bien connue, puisque l’idée est de voir à ce qu’elles puissent s’habituer à vivre cloîtrer et, ainsi, tester la force de leur vocation. » Tous les hommes du Collège sont immédiatement venus en renfort. Il était à peu près 7 heures du soir. Les pauvres enfants ont failli se casser le cou à plusieurs reprises en allant au troisième étage de l’hôpital, encore en rénovation et où les planches, les bancs et les poutres encombraient la place. Ils ont tout de même pu accéder à la dernière fenêtre leur permettant d’accéder au toit de la maison. Ils ont ainsi trouvé la cheminée du pavillon des malades et éteindre le feu ravageur. On a eu peur, puisque nous ne savions pas si le feu avait pu se dissimuler quelque part où l’on ne pourrait pas le voir. Le Révérend M. Chisholm a pu tempérer nos craintes. Non sans difficulté, il a pu passer sa tête à travers un trou au plafond et n’a vu aucune étincelle. Le Révérend a eu autant de difficulté à sortir du trou qu’à y entrer et aucune échelle n’était disponible pour redescendre, ni aucun banc. Il n’y avait que quelques étagères sur le mur et sur lesquelles il a pu monter, même si les tissus qui les recouvraient sont tous tombés par terre. Au final, tout le monde a été sauf, mais on a été quitte pour une bonne frousse.
Décembre 1847. La cruelle maladie de la fièvre typhoïde (typhus) a fait des ravages parmi les immigrants et ce, en très peu de temps. La ville de Kingston et d’autres villes ont dû s’occuper d’un grand nombre d’orphelines et orphelins irlandais. On nous a demandés d’en prendre soin et le Gouvernement nous a donné 1£ par enfant par mois. Nous avons accepté l’offre et le Révérend M. Macdonell a fait construire une cage d’escalier au bout du nouvel hôpital en plus de nous acheter deux grands fours, ainsi que des provisions comme du riz, de l’orge, de la farine, etc. – et une autre grande cuisinière avec tous les ustensiles fournis. Le 24 décembre 1847, la veille de Noël, le Révérend M. Macdonell est venu en compagnie d’une centaine de ces pauvres orphelines et orphelins. Il les a fait monter dans l’hôpital. Même s’il n’était pas encore fini d’être bâti, nous avions de grandes chambres où nous pouvions les installer afin de sauver ces enfants de la misère et de la dépravation. On a installé les filles en haut et les garçons en bas. Leurs seuls meubles consistaient en un four, deux barils et deux panneaux qui pouvaient servir de table, ainsi qu’une chaise pour la Sœur qui les surveillait. Les murs n’étaient pas terminés et de grands panneaux servaient à éviter les blessures dans la cage d’escalier. Les fenêtres étaient fermées à l’aide de clous. Quelque trente petits lits nous ont été fournis, mais ils étaient remplis de bibittes. Nous n’avions pas suffisamment de lits pour au moins la moitié des enfants et on a dû en placer deux ou trois par lit. Après, il y avait les draps et les couvertures tout sales et remplis de punaises de lit et de vermine, tout comme les vêtements des enfants, eux aussi bien sales et couverts de vermine. Nous avons mis toutes ces choses-là dans nos deux pavillons et nous devions marcher sur les vêtements et les draps, pour éviter de marcher sur les enfants. La misère s’était abattue sur ces pauvres petits malheureux et plusieurs étaient malades et négligés ou avaient été abandonnés.
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À 4 heures de l’après-midi, quatre infirmières sont venues, transportant le plus petit bébé âgé d’à-peine quelques semaines, ainsi que d’autres très jeunes et très petits enfants ; seulement 15 enfants étaient autonomes et nous avons gardé deux infirmières, l’une pour les garçons et l’autre pour les filles. Elles nous ont été de grand secours. Quand sonna l’heure du souper, nous n’avions pas suffisamment de vaisselle pour les servir, donc nous sommes allés chercher celle des patients, consistant en 18 petites assiettes et le même nombre de tasses, de cuillères, etc. Les enfants se sont assis autour du poêle, sur le sol. Ils étaient gelés. Nous les avons servis par tablées, puisque nous n’avions pas assez de vaisselle pour ne faire qu’un seul service. Pour les petites filles, nous avons pris les assiettes du pavillon des orphelines (que nous possédions avant l’arrivée des immigrants) et nous avons pris un lit en guise de table, avec des chevalets pour que ça tienne. J’ai oublié de dire que les barils servaient de chevalets ; les pauvres enfants ont mangé debout, 10 personnes à la fois, ce qui a pris beaucoup de temps. Quand le moment fut venu de nous coucher, nous étions bien gênées puisque nous n’avions pas beaucoup de lits et ceux que nous avions reçus étaient dégueulasses. Mais nous n’avions que ceux-là. Le lendemain, jour de la naissance de Notre Dieu, après les prières, les Sœurs ont travaillé toute la journée, en tentant d’aider nos chers petits enfants, symboles du Divin Enfant. Nous avons médité là-dessus et sur le fait que les petits services que nous rendions à Notre Bon Sauveur passaient à travers les soins donnés à ces enfants dénudés et souffrants.
26 décembre. Le lendemain, nous avons commencé à leur trouver des vêtements. Une dame de la ville nous a envoyé quelques morceaux de coton et d’autres personnes nous ont fourni de vieux vêtements assez usés, mais en bonne quantité. Nous avons dû laver tout ça, défaire et recoudre des pièces de vêtements, ce qui a pris beaucoup de temps. Mère Supérieure nous a demandé de commencer par les vêtements des filles parce que plus rapides à faire. Elle travaillait jusqu’à 11 heures du soir et parfois durant toute la nuit. Et elle le fait encore souvent lorsque nous sommes trop occupées. Pendant quelques mois, des dames et des jeunes filles de la ville sont aussi venues nous aider à coudre, chaque mardi de la semaine.
Presbytérien Angham
Mademoiselle Burnel, la fille d’un pasteur presbytérien, ainsi que plusieurs autres jeunes filles sont venues et madame Burnel elle-même nous a envoyé des tissus pour les malades. Elle est aussi venue avec des amies et nous a donné de l’argent à presque toutes ses visites. Même en étant très actives, nous n’avons pas pu changer tous les vêtements des filles avant le 7 janvier. Après cela, nous avons entrepris la même chose pour les petits garçons, mais non sans labeur et difficulté parce qu’ils étaient couverts de saleté et dans un piteux état. On pouvait à peine les reconnaître une fois lavés. Notre Mère nous a préparé un onguent et nous les avons frottés. Rapidement, ils étaient nets. On avait réussi aussi à changer leurs vêtements, à les habillés plus proprement et ils paraissaient contents d’être avec nous. Révérend M. McKey venait deux fois par semaine pour enseigner le catéchisme et ce sont les Sœurs qui enseignaient aux petites filles. Notre chapelle étant trop petite pour les accueillir, nous les envoyions à la Grande Messe et aux Vêpres à l’église paroissiale les dimanches et les jours Saints, en compagnie de la gouvernante. Le mercredi des cendres, nous les avons tous réunis dans leurs pavillons et après que le prêtre leur eût remis les cendres, à la chapelle, il …
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est monté dans les pavillons et leur en a donné aussi. On aurait cru que ces jeunes être innocents comprenaient déjà tout de la cérémonie, se montrant si pieux et dévoués. Plusieurs de ces jeunes enfants avaient été malades, mais on en a perdu que deux, l’un âgé de deux mois et l’autre âgé de quatre ans. Nos chères Sœurs de Montréal ne nous ont jamais oubliées et nous ont souvent envoyé des vêtements, des meubles, des couvertures et de l’argent, parfois 10, 15, 20 et 25 livres ou 40, 60, 80 et 100 dollars.
22 janvier 1848. Le 22 janvier 1848, notre respecté Père, Révérend M. A. Macdonell, est venu voir notre Sainte Rénovation. Il avait déjà prié dans les trois jours précédents, durant le temps des Récollections, et a fait 1 sermon avant la communion, le jour de la Rénovation, sans cérémonial, comme d’habitude, chantant et bénissant le Très-Saint-Sacrament à 4 heures. Au mois de janvier 1848, 30 orphelins immigrants, garçons et filles, nous ont été confiés, en plus du nombre d’enfants que nous avions déjà. C’était toute une famille à faire vivre. Au mois d’août, l’Évêque Phelan a demandé de les placer dans des familles puisque le Gouvernement ne comptait plus payer et nous étions trop pauvres pour pouvoir les garder, sans cette aide financière. Comme nous étions des étrangères, nous ne placions aucun enfant dans des familles avant d’avoir l’approbation de l’Évêque ou du Vicaire-Général. Lorsque des gens venaient pour adopter un enfant, nous placions les jeunes en rangées et les adultes faisaient leur choix. Je vous assure que c’était très pénible à voir. Ils savaient qu’ils devaient partir lorsque le nom était prononcé. Ils se mettaient à pleurer et ne pouvaient pas être consolés, sachant qu’ils allaient être séparés de leurs pauvres compagnons et de leurs Maîtresses qui, elles aussi, ont souvent pleuré. Notre Sœur Dupuis était chargée de s’occuper des garçons et Sœur Saint-Joseph des filles. À la fin du mois d’avril, la plupart de jeunes avaient trouvé famille et il ne restait plus que 5 ou 6 garçons, que nous avions installés dans la cuisine aux bons soins de Sœur Émélie. Environ 15 filles sont restées aux bons soins de Sœur Latour, dans une chambre près des pavillons. Ceux qui étaient malades furent emmenés à l’Hôpital. Le Révérend John Farrel a amassé de l’argent pour finir la construction des pavillons. Il a amassé 80£, 320$, ce qui a pu aider à les terminer. Le troisième étage n’étant pas encore complété, on a dû attendre une autre aide de la Divine Providence. Le Révérend M. John Farrel a eu de la difficulté à amasser l’argent nécessaire, mais charitable et doté d’un zèle infatigable, il a réussi.
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L’Hôtel-Dieu de Montréal lui a ouvert ses portes comme on accueille un Ange venu du Ciel. Une belle suite, aux chambres bien préparées pour l’accueillir, mais qu’elle a refusée d’occuper en disant : « J’ai donné tout ce que je possède pour mes chers vieux, infirmes et pauvres. Devrais-je maintenant gâcher tout ça en vivant telle une princesse royale ? J’aimerais bien être une princesse, mais une princesse de la pauvreté. » Les bonnes Sœurs ne pouvaient rien y faire, alors elle a accepté d’occuper un petit coin de l’un des pavillons publics. Il est dit de cette Sainte Dame, dans les Annales de l’Hôtel-Dieu de Montréal, qu’elle se levait souvent la nuit ou tôt le matin pour aller auprès du lit d’un patient malade qui avait demandé de l’aide. C’est comme cela qu’elle a vécu et c’est comme ça qu’elle est morte ; tel un martyr d’amour, dévouée aux gens souffrants ; ses nombreux actes de dévotion et son amour sont sûrement gravés en lettres dorées dans le Grand Livre de la Vie. Il est de ces nombreux Saints dont la vie est inconnue, sauf par Dieu et Ses Anges.
La première postulante à entrer dans la nouvelle institution était Angela Brouillette, qui est arrivée au Noviciat le 14 mars 1846, en qualité de Sœur domestique. Très travaillante et pieuse, dévouée et respectueuse des autres Sœurs, elle est entrée pendant le mois de Saint-Joseph. Tout le monde s’est entendu pour y voir là un signe positif. Elle est morte le jour de Noël 1864, ayant servi la communauté pendant 18 ans.
Le 1er juin de la même année, Lucy McDougall, née à Kingston, est entrée au Noviciat en qualité de Sœur de la chorale. Cette bonne Sœur était aussi une très bonne Hospitalière, gentille et patiente. Les malades l’aimaient et lui confiaient leurs difficultés. Elle savait parler leur même langue parfaitement bien. Elle est morte le 19 janvier 1898, donnant ainsi 52 années de service dévoué à notre Dieu. Elle avait 23 ans quand elle est arrivée et 75 ans à sa mort. Qu’elle repose en paix.
Une autre postulante est venue aider les Sœurs le 28 juin 1846. D’autres sont aussi entrées, mais n’ont persévéré que peu de temps. Comme le dit notre Dieu Divin : « elles pensaient davantage à leur Père et à leur Mère qu’à Lui. »
Une autre s’appelait Mary McGorian. Elle est entrée au Noviciat, bien déterminée à persévérer si c’était le souhait de Dieu. Dieu l’a aimée et elle a servi les malades et les orphelins dans le bien et dans la foi.
Quand la vague d’immigration irlandaise a déferlé, le bateau transportant les pauvres réfugiés irlandais fut infecté par l’horrible fièvre du Typhus. Pris au piège sur ces embarcations, la trappe de la Morgue et de la Mort a frappé presque tous les pauvres exilés, victimes de la fièvre du Typhus. Quand le bateau est arrivé en notre ville, les habitants terrifiés ont eu peur et ne voulaient pas les voir débarquer, effrayés d’une possible contagion. L’Hôpital général a rapidement été mis à disposition, tout comme les baraques de fortune adjacentes ; les patients infectés y étant installés et demandant les soins des infirmières et des Sœurs. Deux de nos bonnes Sœurs ont tout de suite accepté de servir, Sœur McDougall et Sœur McGorian, une novice. D’une tendresse maternelle, elles ont soigné les pauvres immigrants malades, traitant les mourants et fermant les yeux de ceux fauchés par la mort. La souffrance et les difficultés dont ont été témoins nos pauvres Sœurs sont incroyables, dans ces conditions insalubres et défaillantes. Finalement, elles ont aussi été victimes…
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du Typhus et ont dû être emmenées dans un coin isolé de notre hôpital Hôtel-Dieu. La pauvre Sœur McGorian y est morte, après un long délire, implorant pourtant jusqu’à la fin de retourner soigner les malades dans les baraques de fortune. Ce soir-là, notre chère Sœur McDougall, installée dans une chambre adjacente et malgré sa faible santé physique, a entendu les gens circuler et s’est levée de son lit, curieuse comme toutes les filles d’Ève, pour y apercevoir sa chère compagne être discrètement emmenée à son dernier repos. Bien des années après, elle en parlait encore en disant, dans sa manière de dire les choses : « J’ai fait une grande méditation au sujet de la Mort et du Cimetière cette soirée-là, parce que j’étais certaine que j’allais être la prochaine. » Toutefois, les plans de la Providence étaient autres, en lui donnant un autre demi-siècle à servir notre Dieu, ne mourant seulement qu’en 1898.
Extrait de l’Histoire des Soeurs Hospitalières de Saint-Joseph (Vol. II, 3e édition (LIB2000-607), p. 220.
Sachant l’arrivée prochaine de groupes d’immigrants malades à Kingston, le gouvernement avait décidé de construire des baraques de fortune. Deux ans auparavant, les Hospitalières de Saint-Joseph avaient fondé l’Hôtel-Dieu dans cette ville où elles prirent soin des malades jusqu’à la fin de l’automne.
Une jeune Soeur attrapera la maladie et en mourra. D’autres Soeurs ont été malades aussi, mais s’en sont remises après de longues convalescences.
Extrait des Annales de l’Hôpital Hôtel-Dieu, Kingston, Veille de Noël 1847.
Quand sonna l’heure du souper, nous n’avions pas suffisamment de vaisselle pour les servir, donc nous sommes allés chercher celle des patients, consistant en 18 petites assiettes et le même nombre de tasses, de cuillères, etc. Les enfants se sont assis autour du poêle, sur le sol. Ils étaient gelés. Nous les avons servis par tablées, puisque nous n’avions pas assez de vaisselle pour ne faire qu’un seul service. Pour les petites filles, nous avons pris les assiettes du pavillon des orphelines (que nous possédions avant l’arrivée des immigrants) et nous avons pris un lit en guise de table, avec des chevalets pour que ça tienne.
J’ai oublié de dire que les barils servaient de chevalets ; les pauvres enfants ont mangé debout, 10 personnes à la fois, ce qui a pris beaucoup de temps. Quand le moment fut venu de nous coucher, nous étions bien gênées puisque nous n’avions pas beaucoup de lits et ceux que nous avions reçus étaient dégueulasses. Mais nous n’avions que ceux-là.
Extrait des Annales de l’Hôpital Hôtel-Dieu, Kingston, 22 janvier 1848.
Au mois d’août, l’Évêque Phelan a demandé de les placer dans des familles puisque le Gouvernement ne comptait plus payer et nous étions trop pauvres pour pouvoir les garder, sans cette aide financière. Comme nous étions des étrangères, nous ne placions aucun enfant dans des familles avant d’avoir l’approbation de l’Évêque ou du Vicaire-Général. Lorsque des gens venaient pour adopter un enfant, nous placions les jeunes en rangées et les adultes faisaient leur choix.
Je vous assure que c’était très pénible à voir. Ils savaient qu’ils devaient partir lorsque le nom était prononcé. Ils se mettaient à pleurer et ne pouvaient pas être consolés, sachant qu’ils allaient être séparés de leurs pauvres compagnons et de leurs Maîtresses qui, elles aussi, ont souvent pleuré.
Extrait des Annales de l’Hôpital Hôtel-Dieu.
Quand la vague d’immigration irlandaise a déferlé, le bateau transportant les pauvres réfugiés irlandais fut infecté par l’horrible fièvre du Typhus. Pris au piège sur ces embarcations, la trappe de la Morgue et de la Mort a frappé presque tous les pauvres exilés, victimes de la fièvre du Typhus. Quand le bateau est arrivé en notre ville, les habitants terrifiés ont eu peur et ne voulaient pas les voir débarquer, effrayés d’une possible contagion. L’Hôpital général a rapidement été mis à disposition, tout comme les baraques de fortune adjacentes ; les patients infectés y étant installés et demandant les soins des infirmières et des Soeurs.
Deux de nos bonnes Soeurs ont tout de suite accepté de servir, Soeur McDougall et Soeur McGorian, une novice. D’une tendresse maternelle, elles ont soigné les pauvres immigrants malades, traitant les mourants et fermant les yeux de ceux fauchés par la mort. La souffrance et les difficultés dont ont été témoins nos pauvres Soeurs sont incroyables, dans ces conditions insalubres et défaillantes. Finalement, elles ont aussi été victimes du typhus et ont dû être emmenées dans un coin isolé de notre hôpital Hôtel-Dieu. La pauvre Soeur McGorian y est morte, après un long délire, implorant pourtant jusqu’à la fin de retourner soigner les malades dans les baraques de fortune.
Le professeur Mark McGowan au sujet des orphelines et orphelins de la Famine à Kingston
Émeute au quai de marchandises de Kingston : « Une attaque insensée »
Règle générale, les catholiques et les protestants s’entendaient bien et voulaient secourir les immigrants irlandais de la Famine à Kingston. Cependant, il est arrivé que des tensions refassent surface, sur fond de discordes religieuses. L’un de ces incidents s’est produit les 1er et 2 août 1847 sur le bateau à vapeur Princess Royal, amarré au quai de Kingston. Le capitaine du Princess Royal, Henry Twohy, sera d’ailleurs accusé par John Young d’avoir traité « la cargaison vivante comme du bétail » lors de leur arrivée à Toronto, le 13 août, soit deux semaines après l’incident. Deux semaines auparavant, donc, au début août, le capitaine Twohy fut impliqué dans une altercation à Kingston, impliquant Père Higgins, un catholique embarqué sur le bateau pour soigner l’un des immigrants irlandais catholiques. Arrivé dans le bateau, des membres de l’équipage lui ont crié « À bas le Pape ! ».
Le lendemain, les membres d’équipage du Unicorn, accosté pas très loin, ont attaqué le Princess Royal et une émeute a failli éclater sur le quai. Le capitaine Twohy a demandé l’aide de l’armée, mais ce sont finalement l’Évêque Phelan et le Maire de Kingston, Thomas Kirkpatrick, qui ont pu disperser la foule avant que n’éclate toute violence. Cela n’a pas empêché la presse de s’emparer de l’affaire et les accusations ont fusé de toutes parts au sujet des causes et des responsables de l’incident. Père Higgins sera finalement disculpé par l’enquête, un mois plus tard. L’incident du Princess Royal, à une époque animée par les divisions religieuses, rappelle d’autres événements comme celui où de fausses accusations de prosélytisme ont été élevées à l’encontre de Soeur Bruyère à Bytown ou celui des meurtres de Slabtown sur le Canal Welland en 1849. Les tensions religieuses sommeillaient sous les eaux et elles pouvaient refaire rapidement surface à la moindre occasion, comme le prouvent les incidents reliés à l’arrivée d’immigrants irlandais de la Famine au Canada-Ouest.
Le professeur Mark McGowan au sujet de l’émeute des Irlandais de la Famine de Kingston
L’asile pour veuves et orphelins de Toronto
Contrairement à ce qui s’est passé à Bytown ou à Kingston, les enfants orphelins irlandais, à Toronto, n’ont pas été pris en charge par des religieuses, mais plutôt par une institution spécifiquement créée pour eux : l’asile pour veuves et orphelins de Toronto. Situé dans un complexe de barraques sis sur la rue Bathurst, l’asile a été fondé à la fin de l’été « pour soigner et aider à la survie des veuves indigentes et des orphelins et orphelines d’immigrants de 1847 ». Selon le rapport écrit par le Comité de gestion de l’asile pour veuves et orphelins (Toronto : Roswell & Thompson, 1848), il était initialement prévu de ne prendre en charge que les femmes et les enfants dont les pourvoyeurs étaient décédés à Toronto. Toutefois, il a ouvert ses portes « aux autres veuves indigentes et aux orphelins errants dans nos rues, sans amis et sans aide » (8). L’institution n’a pas existé longtemps et elle a fermé ses portes après la fin de la crise à l’été 1848. L’asile reste néanmoins l’un de ces modèles uniques au Canada, car ses rapports, rédigés de façon très méticuleuse, montrent que les orphelins et orphelines adoptés (ou faits apprentis) devaient signer des ententes contractuelles afin qu’ils ne soient pas exploités ultérieurement.
Les enfants à l’asile des orphelins et orphelines
Mark McGowan au sujet des orphelines et orphelins de la Famine à Toronto