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Les orphelins de la Famine à Kingston et à Toronto


Le quatrième thème de l’exposition virtuelle aborde l’histoire des orphelins de la Famine à Kingston et Toronto. Ce thème met l’accent sur le destin et la résilience de ces enfants immigrants qui ont perdu leurs parents au cours de la traversée transatlantique ou dans les baraques de fortunes érigées un peu partout au Canada. De nombreux immigrants ont terriblement souffert dans les baraques de fortunes aménagées sur le bord de l’eau à Kingston, en Ontario, là où plus de 1 400 Irlandais et Irlandais sont morts en 1847. Une partie de leur histoire a pu être retracée grâce aux Annales rédigées par les Sœurs Hospitalières de Saint-Joseph. Ces écrits ne révèlent pas seulement à quel point les Sœurs avaient de la compassion pour les jeunes orphelins, mais aussi comment les religieuses, dans un monde où les femmes n’étaient pas toujours bien considérées, ont réussi à attester de leur indépendance et à faire valoir leur sens de l’initiative.

Le professeur Mark McGowan à la croix celtique et au mémorial de la Famine à l’An Gorta Mor Park de Kingston

Les Irlandais de la Famine à Kingston

Une Sœur prodigue des soins en plein air, se penchant auprès du lit d’un homme malade, un prêtre est agenouillé à ses côtés et une autre Sœur est assise à une petite table, préparant une médication. Un pont, des tentes et des baraques de fortune sont aperçus à l’arrière-plan, ainsi que plusieurs autres personnes massées sur les rives d’un grand lac. Un arbre imposant est aperçu à l’avant-plan.
Dessin illustrant Sœur Bourbonnière et plusieurs de ses collègues visitant les Irlandais malades du typhus aux baraques de Kingston sur les rives du Lac Ontario. » Les Soeurs Hospitalières de Saint-Joseph, Archives de la région de Saint-Joseph, Kingston, Ontario, K-175.

En Ontario, c’est à Kingston que sont décédés le plus grand nombre d’Irlandais et d’Irlandaises de la Famine à l’été 1847. Environ 1 400 personnes ont été enterrées dans une fosse commune située au sud de l’actuel Hôpital général de Kingston. Affaiblies et exposées aux maladies infectieuses, elles avaient dû faire un trajet de plusieurs jours, collées comme des sardines sur le pont de bateaux à vapeur en partance de Montréal. Ces conditions n’étaient pas sans rappeler celles des bateaux-cercueils qui traversaient l’Atlantique. Comme l’a observé Stephen De Vere : « Des cas de fièvre ont été remarqués sur à peu près tous les bateaux – et certains y sont morts – les cadavres et les vivants serrés les uns sur les autres. Parfois, les passagers étaient installés sur des barges à aires ouvertes, remorquées par les bateaux à vapeur, rassemblés comme des cochons qu’on entasse sur le pont des paquebots à Cork ou à Bristol. »

Les Irlandais et Irlandaises de la Famine ont été traités par les Soeurs Hospitalières de Saint-Joseph, dans les baraques de fortune aménagées au coin des rues Emily et King, près des quais de Kingston. Les Annales qu’elles ont rédigées témoignent, en détail et avec émotion, des souffrances vécues par les immigrants irlandais. Des monuments commémoratifs ont été installés à l’An Gorta Mor Park (une expression qui signifie, en langue irlandaise, « La Grande Famine ») et une croix celtique a été érigée en 1998 par la Kingston Irish Famine Commemoration Association. En 1966, certains des restes humains trouvés près de l’Hôpital général de Kingston ont été ré-inhumés dans le cimetière St. Mary. Ils sont aussi commémorés par un monument appelé Angel of Mercy, dans le même cimetière. Des citoyens de Kingston, aussi décédés de la fièvre en 1847, sont honorés par une croix celtique dans le McBurney (« Skeleton ») Park. Il existe donc de nombreux monuments, mais la plupart des restes humains du temps de la Famine reposent toujours dans la fosse commune, commémorés par une simple plaque, près de l’Hôpital général de Kingston.

Le Noël des orphelins à Kingston :
« C’était très pénible à voir »

Les Soeurs Hospitalières de Saint-Joseph (aussi appelées les Soeurs de l’Hôtel-Dieu) ont figuré parmi les principaux soignants d’immigrants irlandais de la Famine à Kingston. Elles venaient tout juste de s’y établir en 1845, arrivées de Montréal, et y fondèrent l’Hôpital Hôtel-Dieu. Tout comme ce fut le cas pour les Soeurs Hospitalières de Montréal ou encore les Soeurs Grises de Soeur Bruyère à Bytown, elles ont été bouleversées par l’arrivée de tant d’Irlandais et d’Irlandaises. Elles ont écrit au sujet des moments pénibles vécus en 1847, dans les Annales de l’Hôtel-Dieu. Elles y parlent d’une seule voix et racontent « les tourments endurés par les pauvres Soeurs ». Les Annales rendent aussi hommage à l’une d’entre elle « qui a attrapé du typhus et ont dû être emmenées dans un coin isolé de notre hôpital Hôtel-Dieu. La pauvre Soeur McGorian y est morte, après un long délire, implorant pourtant jusqu’à la fin de retourner soigner les malades dans les baraques de fortune. »

Les Annales dévoilent également les sentiments d’affection entretenus par les Soeurs envers les orphelines et les orphelins irlandais. Elles rappellent, par exemple, l’arrivée de plusieurs orphelines à la Veille de Noël 1847. Les Soeurs ont alors dû leur servir le repas « par tablées, puisque nous n’avions pas assez de vaisselle pour ne faire qu’un seul service… ; les pauvres enfants ont mangé debout, 10 personnes à la fois, ce qui a pris beaucoup de temps. » Les Annales racontent aussi toute la tristesse vécue par les Soeurs qui devaient laisser partir les orphelins et orphelines dans leurs familles d’adoption. Elles attestent de la peine encourue par ces séparations, après avoir passé plusieurs mois intenses à nouer des relations avec les orphelins et orphelines en 1847 et 1848.

Extrait de l’Histoire des Soeurs Hospitalières de Saint-Joseph (Vol. II, 3e édition (LIB2000-607), p. 220.

Sachant l’arrivée prochaine de groupes d’immigrants malades à Kingston, le gouvernement avait décidé de construire des baraques de fortune. Deux ans auparavant, les Hospitalières de Saint-Joseph avaient fondé l’Hôtel-Dieu dans cette ville où elles prirent soin des malades jusqu’à la fin de l’automne.
Une jeune Soeur attrapera la maladie et en mourra. D’autres Soeurs ont été malades aussi, mais s’en sont remises après de longues convalescences.

Extrait des Annales de l’Hôpital Hôtel-Dieu, Kingston, Veille de Noël 1847.

Quand sonna l’heure du souper, nous n’avions pas suffisamment de vaisselle pour les servir, donc nous sommes allés chercher celle des patients, consistant en 18 petites assiettes et le même nombre de tasses, de cuillères, etc. Les enfants se sont assis autour du poêle, sur le sol. Ils étaient gelés. Nous les avons servis par tablées, puisque nous n’avions pas assez de vaisselle pour ne faire qu’un seul service. Pour les petites filles, nous avons pris les assiettes du pavillon des orphelines (que nous possédions avant l’arrivée des immigrants) et nous avons pris un lit en guise de table, avec des chevalets pour que ça tienne.
J’ai oublié de dire que les barils servaient de chevalets ; les pauvres enfants ont mangé debout, 10 personnes à la fois, ce qui a pris beaucoup de temps. Quand le moment fut venu de nous coucher, nous étions bien gênées puisque nous n’avions pas beaucoup de lits et ceux que nous avions reçus étaient dégueulasses. Mais nous n’avions que ceux-là.

Extrait des Annales de l’Hôpital Hôtel-Dieu, Kingston, 22 janvier 1848.

Au mois d’août, l’Évêque Phelan a demandé de les placer dans des familles puisque le Gouvernement ne comptait plus payer et nous étions trop pauvres pour pouvoir les garder, sans cette aide financière. Comme nous étions des étrangères, nous ne placions aucun enfant dans des familles avant d’avoir l’approbation de l’Évêque ou du Vicaire-Général. Lorsque des gens venaient pour adopter un enfant, nous placions les jeunes en rangées et les adultes faisaient leur choix.
Je vous assure que c’était très pénible à voir. Ils savaient qu’ils devaient partir lorsque le nom était prononcé. Ils se mettaient à pleurer et ne pouvaient pas être consolés, sachant qu’ils allaient être séparés de leurs pauvres compagnons et de leurs Maîtresses qui, elles aussi, ont souvent pleuré.

Extrait des Annales de l’Hôpital Hôtel-Dieu.

Quand la vague d’immigration irlandaise a déferlé, le bateau transportant les pauvres réfugiés irlandais fut infecté par l’horrible fièvre du Typhus. Pris au piège sur ces embarcations, la trappe de la Morgue et de la Mort a frappé presque tous les pauvres exilés, victimes de la fièvre du Typhus. Quand le bateau est arrivé en notre ville, les habitants terrifiés ont eu peur et ne voulaient pas les voir débarquer, effrayés d’une possible contagion. L’Hôpital général a rapidement été mis à disposition, tout comme les baraques de fortune adjacentes ; les patients infectés y étant installés et demandant les soins des infirmières et des Soeurs.
Deux de nos bonnes Soeurs ont tout de suite accepté de servir, Soeur McDougall et Soeur McGorian, une novice. D’une tendresse maternelle, elles ont soigné les pauvres immigrants malades, traitant les mourants et fermant les yeux de ceux fauchés par la mort. La souffrance et les difficultés dont ont été témoins nos pauvres Soeurs sont incroyables, dans ces conditions insalubres et défaillantes. Finalement, elles ont aussi été victimes du typhus et ont dû être emmenées dans un coin isolé de notre hôpital Hôtel-Dieu. La pauvre Soeur McGorian y est morte, après un long délire, implorant pourtant jusqu’à la fin de retourner soigner les malades dans les baraques de fortune.

Le professeur Mark McGowan au sujet des orphelines et orphelins de la Famine à Kingston

Émeute au quai de marchandises de Kingston :
« Une attaque insensée »

Esquisse en noir et blanc d’un bateau à vapeur muni de trois mâts et vu de profil, voguant sur l’eau. Les mots Mail Packet Princess sont inscrits sur et en-dessous de la roue à aubes. Un drapeau Union Jack britannique flottant en poupe est aussi remarqué. Les mots Princess Royal sont rédigés dans le bas de la page.
Le bateau à vapeur Princess Royal, dessiné en 1841, dont John Young a accusé son capitaine Henry Twohy, en 1847, de traiter les immigrants irlandais « comme du bétail ».

Règle générale, les catholiques et les protestants s’entendaient bien et voulaient secourir les immigrants irlandais de la Famine à Kingston. Cependant, il est arrivé que des tensions refassent surface, sur fond de discordes religieuses. L’un de ces incidents s’est produit les 1er et 2 août 1847 sur le bateau à vapeur Princess Royal, amarré au quai de Kingston. Le capitaine du Princess Royal, Henry Twohy, sera d’ailleurs accusé par John Young d’avoir traité « la cargaison vivante comme du bétail » lors de leur arrivée à Toronto, le 13 août, soit deux semaines après l’incident. Deux semaines auparavant, donc, au début août, le capitaine Twohy fut impliqué dans une altercation à Kingston, impliquant Père Higgins, un catholique embarqué sur le bateau pour soigner l’un des immigrants irlandais catholiques. Arrivé dans le bateau, des membres de l’équipage lui ont crié « À bas le Pape ! ».

Le lendemain, les membres d’équipage du Unicorn, accosté pas très loin, ont attaqué le Princess Royal et une émeute a failli éclater sur le quai. Le capitaine Twohy a demandé l’aide de l’armée, mais ce sont finalement l’Évêque Phelan et le Maire de Kingston, Thomas Kirkpatrick, qui ont pu disperser la foule avant que n’éclate toute violence. Cela n’a pas empêché la presse de s’emparer de l’affaire et les accusations ont fusé de toutes parts au sujet des causes et des responsables de l’incident. Père Higgins sera finalement disculpé par l’enquête, un mois plus tard. L’incident du Princess Royal, à une époque animée par les divisions religieuses, rappelle d’autres événements comme celui où de fausses accusations de prosélytisme ont été élevées à l’encontre de Soeur Bruyère à Bytown ou celui des meurtres de Slabtown sur le Canal Welland en 1849. Les tensions religieuses sommeillaient sous les eaux et elles pouvaient refaire rapidement surface à la moindre occasion, comme le prouvent les incidents reliés à l’arrivée d’immigrants irlandais de la Famine au Canada-Ouest.

Encadré noir et blanc d’un journal, dont les premiers mots se lisent comme suit : Kingston, 1er août 1847.
Incident sur le Princess Royal dans le journal British Whig de Kingston, 7 août 1847.

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Encadré noir et blanc d’un journal, dont les premiers mots se lisent comme suit : Incident sur le Princess Royal.
Incident sur le Princess Royal dans le journal British Whig de Kingston, 18 août 1847 (ou plutôt, 1er août 1847 ??).

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Photographie, sur papier jauni, du profil d’un bateau à vapeur, muni de trois mâts, d’une roue à aubes, d’une bannière flottant au vent, d’une proue et d’une cheminée fumante. Trois personnes sont aperçues en poupe. Un titre est rédigé sous la photographie.
Le vapeur de la poste royale « Princess Royal », Lac Ontario, Image de John Gillespie, 1844.

Le professeur Mark McGowan au sujet de l’émeute des Irlandais de la Famine de Kingston

L’asile pour veuves et orphelins de Toronto

Contrairement à ce qui s’est passé à Bytown ou à Kingston, les enfants orphelins irlandais, à Toronto, n’ont pas été pris en charge par des religieuses, mais plutôt par une institution spécifiquement créée pour eux : l’asile pour veuves et orphelins de Toronto. Situé dans un complexe de barraques sis sur la rue Bathurst, l’asile a été fondé à la fin de l’été « pour soigner et aider à la survie des veuves indigentes et des orphelins et orphelines d’immigrants de 1847 ». Selon le rapport écrit par le Comité de gestion de l’asile pour veuves et orphelins (Toronto : Roswell & Thompson, 1848), il était initialement prévu de ne prendre en charge que les femmes et les enfants dont les pourvoyeurs étaient décédés à Toronto. Toutefois, il a ouvert ses portes « aux autres veuves indigentes et aux orphelins errants dans nos rues, sans amis et sans aide » (8). L’institution n’a pas existé longtemps et elle a fermé ses portes après la fin de la crise à l’été 1848. L’asile reste néanmoins l’un de ces modèles uniques au Canada, car ses rapports, rédigés de façon très méticuleuse, montrent que les orphelins et orphelines adoptés (ou faits apprentis) devaient signer des ententes contractuelles afin qu’ils ne soient pas exploités ultérieurement.

Mark McGowan au sujet des orphelines et orphelins de la Famine à Toronto