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Le journal personnel de la Famine de John Young

Lettres et journal personnel de John Young

1827-1904

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JOHN YOUNG

Naissance : Glasgow, Écosse, 10 mai 1827

Immigrant à Ancaster, Ontario, Canada - 1847

Déménagé à Toronto, Ontario – décembre 1849

Marié à Christina Blair Liddell à Toronto le 18 février 1862

Administrateur à la Upper Canada Bible and Tract Societies

Famille demeurant au-dessus du quartier de l’organisme

102, Yonge Street, Toronto

Décédé à Toronto le 20 décembre 1904

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Page 1 - Journal personnel de John Young

Glasgow, mercredi le 23 juin 1847

Me suis levé à 3h40 et à 5h00, avec l’aide des Smith et de l’employé de mon père, ai transporté la majeure partie de nos bagages afin d’être prêt à embarquer dans le char, qui arriva à 6h00. Me suis rendu sans problème à la baraque du quai, où plusieurs avaient passé la nuit. Ai gardé l’œil ouvert toute la matinée et deux chars remplis sont arrivés avec leur chargement. Mes bagages ont été chargés en toute sécurité durant l’après-midi and j’ai reçu la visite de nos amis, Hugh Miller d’Irvine y compris. Mère, Eliza and les enfants se sont ensuite endormis, en partie sur la rue Maxwell et en partie sur la rue Russell. Les autres parmi nous ont dormi tous habillés sur le bateau. Les lits n’étant pas confortables, nous n’avons pas dormi beaucoup et nous nous sommes réveillés à 3h30.

Jeudi, le 24 juin

Avons passé la majeure partie de notre temps jusqu’à 6h00 à déambuler à Tradeston, où nous avons rencontré Oncle John. Sommes allés au bureau de poste avec deux lettres destinées à Hugh. Espérions que le navire pourrait partir ce matin, mais ce ne fut pas le cas. Nous nous sommes rassemblés à 10h00 et une femme a été prise à vouloir embarquer sans payer. Une autre famille fut soupçonnée d’être atteinte de la fièvre. Avons ensuite écouté des prières et un sermon en gaélique… Tous les passagers à bord, nous avons enfin pu être pris en charge par le Gulliver vers 20h00. Sans nous arrêter, nous avons pris la rivière, salués par une foule de spectateurs qui nous ont suivis jusqu’à Govan et même plus loin. Vers 21h00, on a demandé aux femmes de se coucher et une demi-heure plus tard, je me suis endormi, un peu passé Renfrew.

Vendredi, le 25 juin

Me suis levé à 5h00 et j’ai vu les marins laver les quais. On m’a demandé de me pousser. Nous étions rendus près de la banque située à l’opposé de Greenock, après être arrivés vers 1h00. Nous sommes restés là toute la journée. Oh ! Fatigués et se demandant quand on pourrait repartir. Pas de biscuits, ni d’eau ou d’autres choses nous ont été servis. Regardé une dernière fois ces places très connues allant de Dunbarton Rock jusqu’à Nolenburgh Roseneath en passant par Loch Long, Holy Lock, Gourock, Greenock et Fort Glasgow, en apercevant les arrivées et départs de bateaux à vapeur et autres navires. Le Marchioness of Ailsa qui devait partir la même journée que nous est resté pris ce matin et on peut se demander lequel de nos bateaux arrivera à Québec en premier. Le capitaine est monté à bord à plusieurs reprises, rageant et babillant sur le délai encouru. Nous avons tous très hâte de partir.

Samedi, le 26 juin

Nous nous sommes réveillés ce matin au même endroit, mais des préparatifs sont en branle pour le départ. Le capitaine est venu et a ordonné de mettre à la moitié des provisions des passagers dans la cale. Plusieurs des choses que nous avions prévu utiliser durant le voyage ont été amenées avec le reste des provisions, mais ce n’est pas si mal comparativement à certains autres passagers, dont mon père. Vers 10h00 le bateau à vapeur Conqueror est arrivé de Greenock et nous a remorqué, le vent n’étant pas très favorable mais la puissance de ce bateau a réussi à nous faisant descendre la rivière très rapidement, en passant par Greenock, Dimoon, Toward Point, Rothsay bay, entre Bute et les deux

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Cunibraes, passés Arran et nous emmenant près de Ailsa Craig, lorsque le TUG nous a laissés naviguer seuls. Une petite brise s’étant levée, cela nous a permis de prendre de la vitesse jusqu’à Ailsa et bien après. Nous avons pu percevoir difficilement la côte d’Ayrshire.

Sabbat, le 27 juin

Nous n’avons pas progressé beaucoup durant la nuit ; à notre droite se trouvait Cantire et à notre gauche la côte d’Ayrshire, près de Loch Ryan. J’ai oublié de dire, hier, que nous avions pu boire de l’eau et manger des biscuits, recevant trois portions de biscuits. Jour du Sabbat, nous avons lu un chapitre de la Bible et le capitaine nous a fait le sermon, WHO HAD THE CAPSTAN FOR A DESK, et il y a aussi eu une messe en gaélique dans une autre partie du navire, où les gens ont chanté aussi un Psaume. Nous avons pu recevoir les faveurs du cuisinier à qui nous donnions une canne remplie d’eau de temps en temps et avons reçu par deux fois des repas savoureux de sa part. Le cuisinier est noir et quelque peu original ; il parle gaélique aux gens des Highlands, ce qui les enchante, et leur demande de récupérer un peu d’eau pour lui, en retour pour de l’eau chaude. Le capitaine et ses amis prennent soin des passagers. En après-midi, nous avons commencé à voir l’Irlande et le Mull de Cantire. On a aussi aperçu une île près de la côte de l’Irlande qui, je pense, était Rathlin. Nous n’avons pas avancé beaucoup durant la soirée, en l’absence de vent et avec des vagues qui bousculait le navire considérablement. Plusieurs passagers ont vomi. Je me sentais assez mal moi-même et je suis resté au lit un bon bout de temps. Tout le monde est allé se coucher vers 21h00.

Lundi, le 28 juin

Nous n’avons pas avancé de la nuit, nous sommes-nous aperçus en nous réveillant ce matin, étant toujours pris dans le même MULL et la même partie de l’Irlande. Un enfant est tombé d’une ÉCOUTILLE aujourd’hui et s’est fait mal. Mère et Eliza ont été un peu malades, mais mère s’est sentie mieux après avoir vomi. Je ne me sentais pas trop bien en avant-midi, mais j’ai aussi vomi en après-midi et je vais mieux depuis. J’ai oublié de dire, hier, que le capitaine a distribué des dépliants en gaélique et en anglais. Tout le personnel du navire est attentif aux besoins des passagers malades et en leur donnant quelque médication. Cet après-midi, nous avons pu apercevoir le Londonderry Loch au loin et Islay, de l’autre côté.

Mardi, le 29 juin

De l’autre côté de Derry Loch, le vent étant plus présent. Le cas de la jeune fille qui s’est blessée a empiré et il semble qu’elle ne survivra pas. Ai pris le déjeuner à 8h00, composé de pain et de jambon ou de beurre et du thé. On a eu du porridge qu’une seule fois, le jour du Sabbat, mais Jane et Agnes n’en ont pas pris alors. Elizabeth, Martha et James en ont eu presqu’à chaque jour. Nous avons dîné vers 13h00. Avons soupé vers 17h00, avec thé, pain, comme ce matin, mais avec un œuf. C’est à peu près la même chose à chaque jour. Nous sommes allés au lit vers 21h00, nous couchant comme des sardines. Nous avons vogué à 4 ½ nœuds à l’heure ce soir.

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Mercredi, le 30 juin

Je me suis levé avant 5h00 ce matin. Juste après, le corps de l’enfant dont j’avais parlé a été emmené sur le pont. Elle est morte la nuit passée vers 1h00 du matin. On ne pouvait pas voir la terre ferme d’aucun des côtés, mais c’était aussi en raison de la brume. J’étais dans la cave du bateau quand le corps a été lancé à la mer et je n’ai donc pas vu la cérémonie. C’était une cérémonie très simple à ce que j’ai compris. Après la prière en gaélique, le corps a été mis sur une planche et a été glissé dans l’océan. Une pièce de fer faisant partie du bateau a été attaché à la planche pour que le corps puisse glisser au fond de la mer. Quand la brume s’est dissipée, nous voyions encore l’Irlande. Il y avait un vent faible, nous donnant que deux ou trois nœuds pour naviguer dans les eaux. Nous avons vu plusieurs oiseaux des mers qui, en s’approchant d’eux, ont plongé dans les eaux. Ils avaient une tête noire et des teintes blanches et noires sous les ailes et sur le ventre. Tout ce qu’on a pu voir de la terre depuis que nous avons quitté Clyde se résume à des collines et petites montagnes. Ce que nous avons pu voir de l’Irlande étaient des précipices plongeant jusqu’à l’eau. Le Mull de Cantyre est semblable, ainsi que l’Ayrshire, même si plus beau. Je suis resté éveillé jusqu’au coucher du soleil. C’était vraiment beau, avec toutes les formes visibles, des rails jusqu’au bol à punch, en termes de couleurs et de formes.

Jeudi, le 1er juillet

Nous avons quitté Glasgow depuis une semaine et les paysages que nous voyions sont bien différents, du point de vue de nos attentes et au sein du vaisseau. Quand un autre bateau vient près de nous et nous demande ce que nous transportons, je réponds « des Highlanders, des théières et du porridge », que nous avons en grande quantité. Nous avions un bon vent ce matin et nous avons pu avancer cette nuit. J’ai aperçu une dernière fois l’Irlande, en tout cas, c’est ce que j’espère, pour la traversée. Vers midi, nous ne voyions plus la terre ferme. Il y a des cornemuses à bord et plusieurs en ont jouées. Ce soir, nous avons aussi dansé et une douzaine de couples se sont laissé aller sur le pont. Le capitaine approuvait la chose. Une bande de marsouins ont passé près de nous, dans le courant de la journée, mais je n’ai malheureusement pas pu les voir, étant dans la cave. Il y en avait 50 nous passant vers l’est. J’ai revu le coucher du soleil ce soir. Nous avons eu de la belle température depuis le début, sauf pour une journée de pluie.

Vendredi, 2 juillet

Je ne me suis pas levé avant 7h00 du matin. Il y avait un petit vent et beaucoup de brume. On ne pouvait pas voir bien loin. Nous avons reçu nos rations de biscuits et de farine (ce qui est une amélioration par rapport à ce que nous avions). Les biscuits étaient durs et croustillants et nous pouvons faire des scones ou ce que l’on veut de la farine distribuée. Nous avons déjà amassé un grand nombre de biscuits et nous ne saurons pas trop où les mettre bientôt. J’ai oublié de dire, hier soir, qu’il y a une mutinerie qui a presque été déclenchée par les membres de l’équipage qui travaillent en temps supplémentaire. Ça s’est calmé. On n’en a plus entendu parler, sauf pour certains marins qui ont dit qu’ils allaient déserter une fois arrivés à Québec, même si embauchés pour tout voyage au complet. Ça ne nous a pas trop dérangés. Il y a eu une autre danse ce soir, mais je n’y ai pas assistée. Je me suis couché tôt ce soir.

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Samedi 3 juillet

Un vent fort et favorable toute la nuit a encore soufflé ce matin. Chaque jour ressemble au précédent. Il n’y ainsi pas grand-chose de nouveau à raconter, même pour un chroniqueur diligent comme moi. Il y a parfois une querelle entre deux ou plusieurs passagers qui nous font passer le temps. Il y a un homme et une femme appelée Love qui, est-il rapporté, étaient mariés à d’autres personnes mais se sont enfuis pour se marier ensemble. Peut-être n’est-ce pas vrai, mais ce sont d’assez étranges passages, peu importe qui ils sont vraiment. Il y a un peu de chahut entre eux parfois, lorsque qu’elle lui donne des coups ou lorsque c’est lui qui lui donne des coups. Après, on l’entend parfois dire le mot « meurtre ». Même quand ça va bien, elle le suit comme un chat poursuit une souris. Il y a eu une danse.

Sabbat, 4 juillet

En se réveillant, nous roulions dans le lit lorsque nous avions la chance d’avoir un pied d’espace. Le bon vent d’hier a repris et le bateau a pu voguer à 10 nœuds à l’heure. La mer était assez déchaînée et faisait en sorte de faire tanguer les passagers comme s’ils étaient ivres. Il n’y a pas eu de messe aujourd’hui sur le pont, probablement en raison du peu de nombre de personnes présentes et de la mer agitée. D’autres marsouins ou autres animaux sont passés près de nous ce matin. Ils allaient dans la même direction que nous, mais plus rapides et toujours à l’avance. Ça fait quatre fois que les marsouins passent près de nous, mais je ne les ai jamais vus moi-même, tant toujours ailleurs lorsqu’ils se montraient visibles. Il y a eu des messes en gaélique dans la cale, par deux fois aujourd’hui ; pour les autres comme nous, nous avons passé du temps à lire n’importe quel livre qui pouvait nous tomber sous la main. Le vent a diminué un peu d’intensité ce soir, mais nous avons tout de même vogué assez vite, environ 7 nœuds à l’heure.

Lundi, 5 juillet

Le matin, tout le monde doit balayer, nettoyer et récurer autour de sa couchette. Ensuite, je me lave le visage et ce n’est pas une mince affaire. Il faut d’abord trouver un pot, ensuite de l’eau, du savon, une serviette et un peigne. Toutes ces choses-là sont remisées à clé ou disposées ailleurs. Il faut faire vite quand c’est notre tour. Ensuite, c’est le déjeuner. Il faut attendre notre tour pour de l’eau et nous n’avons pas grand-chose à faire jusqu’au dîner, à moins que ce soit le jour pour le biscuit, qui est servi deux fois par semaine. Il y avait un bon vent aujourd’hui et nous avons vogué assez vite. En après-midi, nous avons vu plusieurs jets de vapeur ou de fumée jaillir de la mer. On nous a dit que c’était l’œuvre d’une baleine. Elle m’a semblé être à deux ou trois milles de distance et elle ne s’est pas approchée de nous. Il y a eu une danse, comme d’habitude.

Mardi, 6 juillet

Un vent du nord-est aujourd’hui qui nous faisait avancer de 9 nœuds à l’heure, environ. Le vaisseau penchait à tribord et des gens ont eu bien du plaisir à déambuler sur le pont. Nous avons vu des animaux de mer. Les marins les appellent des épaulards. Ils ont le dos noir ou brun et le ventre blanc ou gris. Ils ont un aileron sur le dos, qui coupe l’eau comme le ferait un couteau lorsqu’ils remontent à la surface.

Mercredi, 7 juillet

Peu ou pas de vent aujourd’hui, nous faisant avancer ce matin à 3 nœuds à l’heure. Même chose en soirée. Tous les passagers se sont mis à nettoyer l’entrepont. Tout le monde a dû transporter leur couchette sur le pont, même les gens malades. Nous sommes restés là pendant trois heures.

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Jeudi, 8 juillet

Le vent a soufflé plus fort au moment de nous coucher pour la nuit et il a continué de souffler pendant la nuit et ce matin ; mais cet après-midi, il a changé de direction, devenant de plus en plus fort. Comme on prévoit une nuit difficile à bord, nous avons tenté de garder tous les objets bien rangés. Vers 18h00, le vaisseau tanguait tellement que très peu de gens sont restés sur le pont. Nous étions couchés, la tête sortie de la couchette, à mesure que le bateau s’inclinait davantage. N.B : pas de danse, ce soir.

Vendredi, 9 juillet

Nous venions tout juste de nous coucher hier soir lorsque nous avons eu l’ordre « About Ship », le bateau étant incliné de l’autre côté, nos têtes reposant plus bas que nos pieds. On entendait de temps en temps des chaudrons et des poêles tomber, on sentait le bateau se soulever, les gens gémir et les marins s’activer en haut. Peu dormi la nuit passée. Je me suis levé vers 4h00 du matin et suis allé sur le pont, mais je ne pouvais me tenir debout sans m’accrocher à quelque chose. Il y avait deux vaisseaux visibles ; les premiers visibles depuis avoir perdu la terre ferme de vue. Nous avons envoyé plusieurs signaux à celui qui était le plus proche, mais il n’y a pas eu de réponse. Le second nous a dit que c’était un bateau hollandais. Le vent s’était considérablement calmé, mais la houle s’est fait sentir toute la journée. On a aperçu quatre aux bateaux aujourd’hui, ce qui en fait 6 depuis le début de la journée. Ils ont probablement connu les mêmes vents que nous. Un grand nombre d’oiseaux ont été aperçus hier et aujourd’hui, ce qui nous fait dire que nous approchons de la terre ferme. Il n’y a pas eu de danses depuis plusieurs jours.

Samedi, 10 juillet

Un enfant dénommé Watson est mort ce matin. Il avait la dysenterie depuis plus d’une semaine. Le service a eu lieu à 14h00 environ. Un marin se tenait sur les chaînes et le corps disposé sur un panneau lui a été remis ; sur le rempart du bateau, une courte prière a été dite en gaélique par le même homme que la dernière fois et le marin a ensuite laissé tomber le panneau dans l’eau. Rien d’autre à voir. Le vent a continué de souffler en sens contraire et assez fortement. J’ai oublié de dire, hier, qu’un hôpital temporaire a été érigé sur le pont, à tribord, pour soigner un enfant ayant la variole et afin que la maladie ne se propage pas parmi nous.

Sabbat, 11 juillet

La mer est agitée aujourd’hui et le vaisseau penchait beaucoup d’un seul côté. Père a eu un accident en glissant sur le pont détrempé et il s’est quasiment cassé la jambe. Les vagues montaient souvent sur l’un des côtés du bateau, éclaboussant ceux qui étaient sur le pont. Nous n’avons pas vu de navires aujourd’hui (sauf un à très grande distance de nous, durant la soirée), même si nous en avons aperçus 6 ou 7 samedi. Pas de messe sur le pont aujourd’hui.

Lundi, 12 juillet

Nous n’avons pas beaucoup avancé depuis les trois derniers jours ; par exemple, nous n’avons progressé seulement que de 10 milles samedi même si, je suppose, nous en aurions parcouru 100. Un bon nombre de marsouins se sont amusés autour du bateau aujourd’hui. Le second a tenté d’en harponner un, mais peine perdue ; ils se sont tous enfuis. Tout le monde sur le pont aujourd’hui, mais nous sommes redescendus rapidement en raison d’une forte averse de pluie. Le vent a changé de direction encore et nous avons fait du 6 nœuds à l’heure.

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Mardi, 13 juillet

De faibles vents aujourd’hui. Nous n’avons pas vu d’autres bateaux depuis plusieurs jours. Les danses ont repris à chaque soir, mais certains passagers s’en plaignent, en raison du bruit occasionné et des péchés. Le capitaine dit qu’il ne peut pas empêcher les danses parce qu’il a comme directive d’offrir un peu de plaisir aux passagers pour les garder en santé. On se prépare à pêcher la morue sur les rives de Terre-Neuve, que nous croyons pouvoir atteindre bientôt.

Mercredi, 14 juillet

Un vent favorable aujourd’hui qui nous a bien aidés. Le capitaine a donné des crochets à ceux qui n’en avaient pas, ou à ceux les plus dérangeants et avides.

Jeudi, 15 juillet

Avançons à un bon rythme, soit près de 8 nœuds à l’heure, mais le temps est brumeux et humide. Nous devons faire attention à ce que la proue de notre bateau ne frappe pas un autre navire. Des algues flottaient sur l’eau. On ne peut pas voir à plus d’un bateau de distance, de tous côtés.

Vendredi, 16 juillet

Le vent s’est calmé ce matin pour s’éteindre complètement vers midi. Nous avons vu trois vaisseaux. Je me suis reposé toute la journée dans la cabine de lecture du capitaine. Nous avons pris un thermomètre pour vérifier la température de l’eau. Elle est froide et cela nous dit que nous approchons des rives. Nous avons vu quelques marsouins.

Samedi, 17 juillet

Un faible vent ce matin. Nous avons sondé les profondeurs et la plus basse donnée était de 50 Fathoms. Rendus sur la côte, mais aucun navire de pêche aperçu. Quelques-uns ont mis leur ligne à l’eau, mais aucune prise. Les bandes de brume aperçues à distance ressemblent à la terre ferme, mais plusieurs marins d’expérience ont été souvent déçus par cette vision. Le vent a augmenté d’intensité dans la soirée et nous fait dire que nous aurons un matin difficile.

Sabbat, 18 juillet

Un matin difficile, comme d’habitude, pour le jour du sabbat. Le vent contraire nous a forcé à travailler fort. Nous n’avons pas progressé beaucoup. Nous sommes dans une zone de pêche et plusieurs vaisseaux se trouvent à nos côtés, mais à 3 ou 4 milles de distance (sauf pour l’un d’entre eux qui s’est approché à un demi-mille de nous). J’en ai vu 15 en même temps. Pas de pêche.

Lundi, 19 juillet

Aucun bateau en vue et un faible vent. Presque pas de vent en milieu de journée. Plusieurs lignes lancées à l’eau et deux morues pêchées. L’un des deux passagers chanceux a vendu sa prise à l’intendant, je crois, et l’autre l’a fait cuire pour son souper. Le vent a augmenté un peu dans l’après-midi, ce qui a stoppé la pêche pour une journée.

Mardi, 20 juillet

Ça faisait 26 jours depuis Glasgow, 24 depuis Greenock et 20 depuis la dernière fois qu’on a vu la terre ferme, mais on a vu le Nouveau Monde pour la première fois, aujourd’hui. On savait qu’on était près de Terre-Neuve et quand la brume s’est dissipée, l’île était droit devant nous. Comme le vent soufflait de l’ouest, nous avons changé de direction vers le nord ; nous n’aurions pas pu l’apercevoir, sinon. Nous nous en approchons rapidement …

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… grâce à une bonne brise et nous en sommes à près de deux milles des berges. Nous avons vu Cape Pine sur le flanc nord-est et Cape Race sur le flanc sud-ouest. Une côte difficile et aucune habitation humaine visible. Nous avons vu plusieurs petits bateaux accoster. À l’opposé, nous avons vu un grand bateau à vapeur, en direction contraire. C’était le North American Mall Packet qui fait Halifax à Liverpool. Nous l’avons vu pendant près de deux heures, mais il ne s’est jamais approché à plus de 2 ou 3 milles de nous. Il avait aussi des voiles et va sûrement atteindre Liverpool avant que nous arrivions à Québec. Nous avons dû changer les voiles de direction, encore une fois, se dirigeant vers le nord-ouest, perdant Terre-Neuve de vue avant de la revoir et de longer la côte pour plusieurs milles, passant près de plusieurs bateaux de pêche ayant jeté l’ancre et pêchant de la morue le plus rapidement que possible. Trois ou quatre se sont approchés vraiment près de nous et certains nous ont crié « Bonne chance, les gars ! ». C’est la première fois que l’on voit des bateaux s’approcher si près et que l’on peut voir les visages. Nous aurions aimé pouvoir leur acheter du poisson frais, mais il commençait à faire noir et nous avancions vers une grande baie, dont je ne pourrais nommer. Nous étions près de la terre ferme lorsque nous sommes allés au lit.

Mercredi, 21 juillet

Je n’ai pas très bien dormi la nuit passée, le bateau tanguant beaucoup et les vents forts et la mer très agitée faisant craindre de s’échouer sur les berges. Vers minuit, on a changé de direction et nous ne voyions plus la terre ferme en se réveillant. Il y a des rats sur le bateau et ils semblent être de plus en plus nombreux. Ils ont été vus à deux ou trois reprises sur le pont. Ils ne me dérangent pas la nuit, mais Eliza a vraiment très peur d’eux et pense les voir sur les lits, ce qui lui a fait perdre plusieurs nuits de sommeil.

Jeudi, 22 juillet

Un homme a été pris en train d’allumer une feuille de papier avec une lanterne, la nuit, ce qui est interdit. On l’a informé et le capitaine l’a condamné à allumer le feu et balayer les quais pour trois jours. Un autre enfant est atteint de la variole et a été placé sur un lit, à côté de l’autre enfant qui est en train de se rétablir. Quelques petites baleines ont été aperçues près du bateau. Les vents sont toujours contraires et nous n’avons pas bougé, n’ayant pas gagné beaucoup de terrain. Nous avons dû acheter deux livres de thé supplémentaire de l’équipage, n’en ayant plus. Nous n’avons plus grand-chose, sauf un peu de beurre et de l’avoine. Notre seule nourriture consiste maintenant en du porridge et du thé.

Vendredi, 23 juillet

Un autre enfant est mort ce matin et a été inhumé aujourd’hui. Il était fragile depuis son arrivée à bord, n’ayant jamais été capable de guérir de la rougeole. Nous devons contrer des vents opposés, mais nous prévoyons que cela changera bientôt. On voit des vaisseaux de temps en temps, mais aucun ne s’est approché de nous.

Samedi, 24 juillet

Un jour calme et chaud. Les Sinclair sont nos voisins de couchette. La mère de M. Sinclair, sa sœur et son frère sont du voyage. La mère ne va pas bien depuis deux ou trois semaines, mais était pourtant en forme pour son âge avant ça, comme la plupart des passagers. Elle était vraiment malade ce matin, mais on ne pensait pas que c’était la fin pour elle. On a été troublés de savoir qu’elle a rendu l’âme…

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… tout le monde qui le pouvait a dû monter sur le pont, pour le nettoyage. C’est la 4e personne décédée ; elle était joviale avant de tomber malade. Des baleines jouaient ensemble autour du bateau et les plus superstitieux d’entre nous disaient que c’est parce qu’elles savaient qu’il y avait un cadavre sur le bateau. On prévoit un bon vent dès ce soir.

Sabbat, 25 juillet

Le vent n’est pas encore levé et nous faisons du deux milles à l’heure. Le corps a été monté la nuit passée et déposé dans la barge. Il est encore là, la première fois qu’on en laisse un passer une nuit. Hier, j’ai oublié de dire que la barge a été transformé en hôpital ; deux autres enfants sont atteints de la variole. Nous avons de plus en plus vite et à 10h00, nous faisions du 4 nœuds à l’heure et à 13h00, du 6 nœuds à l’heure. Durant l’après-midi, nous avons atteint du 8 nœuds. Un autre enfant est mort ce soir, vers 22h00.

Lundi, 26 juillet

Nous avons filé à 9 nœuds ½ à l’heure. Très brumeux en avant-midi et nous devons faire attention puisque nous approchons des côtes. Les ancres sont prêtes à être lancées à l’eau. À midi, la brume s’est dissipée et à 14h00 nous avons entendu « terre ferme à l’avant ». C’était l’Île Saint-Paul et le Cap Breton que voyions. Nous étions à 200 milles de ces terres, hier vers midi. Avant cela, nous avons relâché les deux corps dans la mer, en même temps, après les prières prononcées par le capitaine. Le corps de Madame McTavish a été retenu sur le bateau très longtemps, par respect pour les proches qui voulaient l’enterrer sur la terre ferme. Mais cela fut impossible. Nous avons vu l’Amérique vers 16h00, les îles et le continent formés de petits collines, à ce que nous pouvions apercevoir. Nous étions à 5 milles de l’Île Saint-Paul et à près de 20 milles du continent. Il y a un phare sur l’Île Saint-Paul. Nous sommes passés près du Bird Rocks vers 21h00 et nous avons ensuite perdu sa trace.

Mardi, 27 juillet

Les vents favorables ont continué de souffler. Nous sommes passés près des Île-de-la-Madeleine cet après-midi et c’est tout ce que nous avons vu aujourd’hui. Elles étaient éloignées, mais nous apparaissaient formés de pierres perpendiculaires à l’océan, assez plates sur le dessus. On a été assez subjugués par quelque chose lors du coucher de soleil. Ça semblait être un bateau à l’horizon, mais ensuite la chose est devenue plus grande, nous faisant penser à une roche. Un plus petit rocher a été aperçu sur l’un des côtés et se divisait en 6 ou 7 morceaux, faisant penser à toute une flotte. Ils sont tous disparus après 30 minutes et sont réapparus 5 minutes plus tard, avant de disparaître encore. La seule chose possible est que cela ait été un nuage, mais c’est la première fois que je voyais une chose semblable.

Mercredi, 28 juillet

Nous avons vu pour la première fois le continent américain aujourd’hui : c’était la côte de Gaspé. Des rochers, des rochers et encore des rochers. Les collines devenant moins abruptes, nous avons pu apercevoir des maisons pour la première fois. Elles étaient toutes blanches et brillantes au soleil. Nous avons aperçu un village assez important appelé Rivière-au-Renard. Tous les habitants dépendent de la pêche, le sol étant peu fertile et rocailleux. Les collines derrière le village sont parsemés d’arbres, mais nous n’avons pas pu voir de quelles sortes d’arbres il s’agissait. Un vieil homme est mort aujourd’hui. Je ne sais pas de quoi il en retourne…

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… mais il était très infirme et a dormi aux côtés d’un enfant qui avait la variole. Son corps n’est pas resté plus de deux heures sur le pont avant d’être inhumé en mer.

Jeudi, 29 juillet

Le vent a tourné direction ouest et nous avons dû le contrer. Nous sommes passés près de l’Île d’Anticosti and quelques petites îles appelées Sept-Îles. On n’a pas fait plus de 6 milles aujourd’hui. Anticosti ressemble à toutes les autres terres aperçues, c’est-à-dire qu’elle est rocailleuse et collineuses (comme Rivière-au-Renard). Elle fait près de 100 milles de longueur.

Vendredi, 30 juillet

Nous avons fait un peu de progrès aujourd’hui, le vent ne nous faisant pas face complètement. Nous sommes restés au milieu du Fleuve de sorte que nous ne pouvions pas très bien voir les côtes. Je ne crois pas que celui qui se tient sur une côte pourrait voir la côte opposée. Les deux côtes sont très collineuses. Le courant du Fleuve Saint-Laurent est peu fort ici et nous faisons du 2 nœuds à l’heure. Je pense qu’il est large de 40 milles ici.

Samedi, 31 juillet

J’ai un abcès à la gencive qui s’est formé sur ma joue droite depuis quelques jours et ça a tellement enflé aujourd’hui que je n’ai pas pu aller sur le pont. Je suis resté au lit toute la journée. Heureusement pour moi, il n’y avait rien de spécial à voir, à part une brume très dense. L’ancre a été jetée à une profondeur de 16 Fathoms. Une pluie intense s’est abattue sur nous toute la journée. L’ancre n’a pas fonctionné au départ, mais elle a été remontée et jetée à nouveau. Le pilote doit monter à bord et si nous en avions un, il est probable que nous n’aurions pas jeté l’ancre. Un grand navire s’est approché de nous, qui semblait transporter des émigrants comme nous. Il est vite disparu dans la brume. La terre ferme a été aperçue à tribord, à près d’un mille de distance, lorsque la brume s’est dissipée un peu.

Dimanche, 1er août 1847

J’ai pu me lever ce matin avec une serviette à la mâchoire, l’abcès ayant éclaté pendant la nuit. L’ancre est encore à l’eau et nous attendons l’arrivée du pilote. La brume s’est dissipée et nous voyons le paysage. Les maisons sont toute blanches et assez belles. Nous sommes passés près de plusieurs petites îles et d’autres sont devant nous. La rivière est de plus en plus étroite. Avant-midi, le pilote est monté à bord, un homme vêtu d’un petit manteau léger et d’une casquette militaire, ne ressemblant pas vraiment à un marin. C’est un Canadien français. Peu après, l’ancre a été levée et malgré la marée et le vent contraire, nous avons réussi à avancer un peu avant d’aller se coucher. Une autre personne est décédée en matinée, le frère de celui qui était mort récemment. Il a laissé une veuve et sa famille. C’est son enfant qui a attrapé la variole en premier et il y a été exposé, n’étant déjà pas très en forme.

Lundi, 2 août

L’ancre a été jetée la nuit passée vers 21h00 et retirée ce matin, mais le vent a continué à nous faire reculer. Après « Jumping Jim Crow » pour quelques heures, nous nous sommes assis un peu, voyant l’Île Verte. C’était la plus grande des îles de la région et couverte de forêt à originaux, sauf une petite portion…

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… là où le phare est situé. Ce fut une belle journée et le vent s’est calmé. Le capitaine et son équipe sont allés sur l’île, avec une passagère et 4 rameurs qui sont passagers de l’entrepont. Il fallait faire trois milles pour accéder à l’île et ils y sont restés deux heures. Ils y ont vu une forêt luxuriante et si dense qu’ils ne pouvaient pas avancer très bien. Les arbres étaient des pruches, assez petits, dont les troncs n’étaient pas plus gros que le corps d’un homme. Il y avait des petits fruits en abondance, de différents types : framboises, groseilles et d’autres sortes, mais ils n’en ont pas recueillis. Il y avait aussi un wigwam indien, déserté. Ils sont revenus avec des fleurs comme trophées, en grande demande après un si long voyage. L’ancre toujours à l’eau, deux bateaux sont arrivés, avec des provisions qui ont été rapidement distribuées : consistant en du beurre vendu au coût d’une livre la livre, des œufs et du pain. Il était noir, mais on l’a pris puisque cela faisait changement des biscuits durs. On a pu se faire un petit festin aujourd’hui ! Nous avons levé l’ancre et un voilier de passagers est aussi venu nous voir, le « Jessie » de Limerick et nous avons parlé à des gens. Il a été en mer depuis 35 jours. Ils ont aussi parlé à l’équipage d’un autre bateau et nous avons appris qu’il y avait un grand nombre d’émigrants qui sont morts cette année. Environ la moitié des passagers sont morts dans certains navires et plusieurs meurent chaque jour, une fois arrivés à la terrible station de la quarantaine. Nous avons été chanceux de rester en santé et d’avoir pu compter sur une traversée rapide, alors que d’autres bateaux ont mis de 8 ou 9 semaines pour faire le trajet. Les nouvelles en inquiètent plusieurs d’entre nous, craignant d’être placés parmi les gens infectés à la station de la quarantaine. Nous sommes reconnaissants d’avoir pu rester en santé jusqu’ici.

Mardi 3 août

La même routine aujourd’hui, jetant l’ancre à marée basse et relevant l’ancre à un moment plus favorable. Nous sommes passés près des îles du Pèlerin et de l’Île-au-Lièvre, ainsi que près de l’ Argo, un nouveau bateau de la compagnie de Robert Gilmour, rempli de bois et qui fait la traversée pour la première fois. Nous avons pu parler à certains de leurs gens, qui nous ont confirmés ce que l’on avait entendu hier. Après s’être souhaités bonne continuation, le bateau a repris son chemin. Les bandes riveraines sont de plus en plus peuplées, mais davantage sur la rive sud puisque les montagnes sont très près du Fleuve, côté rive nord.

Jeudi, 5 août

Une bonne brise aujourd’hui nous a permis de naviguer aussitôt que la marée a changé, et nous pouvions filer à 10 milles à l’heure. Le Fleuve est de plus en plus étroit et plusieurs petites îles rocailleuses sont aperçues, flanquées d’un phare et de petits édifices. Trois heures après, nous sommes arrivés à Grosse-Île, là où plusieurs bateaux y étaient accostés.

Vendredi, 6 août

La station de la quarantaine de Grosse-Île est située à 33 milles à l’est de Québec, en remontant le Fleuve. Elle est couverte de petits arbres, sauf là où il y a l’hôpital et quelques petites maisons. Comme il y a beaucoup de malades en cette saison et qu’il n’y avait pas assez d’espace pour soigner les patients, ils ont érigé quelques centaines de petites tentes pour ceux et celles qui se sentent bien. Ça ressemble à des campements militaires. Des bateaux restent ancrés entre cette l’île et celle qui lui est opposée, attendant l’inspection ou encore le retour de leurs passagers. Ce matin, le médecin est monté à bord et tous les passagers ont été vus, comme si on comptait une bande de moutons. Tous ont été déclarés sains, sauf deux passagers souffrants. Il y avait plusieurs bateaux à vapeur qui embarquaient des passagers de vaisseaux…

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… qui étaient passés à côté de nous durant la traversée, mais les Écossais des Highlands se sont tenus debout afin d’avoir leur propre bateau à vapeur et ont réussi à l’obtenir. Nous avons donc dû rester accostés une nuit de plus.

Samedi, 7 août

Le bateau à vapeur Rowand Hill est venu nous voir tôt ce matin, avec des agents d’immigration à son bord. Tous les bagages avaient été montés à l’étage et les lits défaits il y a deux jours. Un agent a vérifié chacune des boîtes mises sur le vapeur et nous avons dû ouvrir toutes les boîtes, même si elles étaient fermées par des tiges de fer. Il se montrait circonspect à la vue des boîtes de livres que l’on transportait et en a enlevé plusieurs, mais au moins nous avons pu monter à bord du bateau à vapeur. C’était l’un de ces bateaux de Yankee, avec un pont pour la promenade, nous paraissant très étrange pour nous qui n’en avions jamais vus de tels. Nous sommes tous montés à bord et vers midi, nous avons crié trois fois à la santé des marins, qui nous ont retourné la faveur. Nous avons filé assez rapidement dans le Fleuve, la marée nous aidant. Les rives des deux côtés étaient habitées, les maisons de couleur blanche et les clochers de plusieurs églises brillaient sous le soleil. La grande Île-d’Orléans séparait le Fleuve en deux parties et nous avons rapidement aperçu Québec avec son château et ses escarpements, ses maisons de bois en basse-ville et des centaines de vaisseaux mouillés à son quai. Avant de pouvoir distinguer toutes les maisons, nous avons vu une autre chose. Après avoir passé l’Île-d’Orléans, nous avons vu les Chutes Montmorency. Nous étions à quelques milles des Chutes et elles ressemblaient à de grands draps blancs accrochés aux roches. Près de Québec, le bateau à vapeur s’est approché du quai, mais ne s’est pas arrêté et nous sommes passés près des Plaines d’Abraham, l’Anse-à-Wolfe et autres places historiques célèbres. L’Anse-à-Wolfe est intégrée au chantier naval de la Pollock Gilmour Co. Le Fleuve se rétrécit soudainement, sa largeur étant d’un demi-mille. Quand il a fait nuit, on a tenté de trouver la meilleure place possible pour se coucher. Ce fut difficile puisqu’il s’est mis à venter et on devait constamment changer de côté du bateau pour l’empêcher de chavirer.

Sabbat, 8 août

Nous avons traversé le Lac-Saint-Pierre pendant la nuit, dans une partie plus large du Saint-Laurent. Les rives près de Québec sont formées de cap rocheux, mais elles sont beaucoup plus basses près de Montréal. Plusieurs petites îles parsèment le Fleuve près de Montréal. Ce n’est pas aussi impressionnant que le paysage de Québec. Il y a un mont qui domine la ville et qui lui donne son nom. Montréal est situé sur une grande île, et comme Québec, est situé à notre droite. Nous sommes passés à travers les quais, jusqu’au dernier qui est dédié aux émigrants. Il y a des baraques de fortune qui y sont installées. Les baraques sont remplies d’émigrants malades et ceux qui le sont sur notre bateau ont été avisés de rester à bord toute la journée avant que les autres puissent sortir. Aujourd’hui, Père a essayé de trouver des hôtels pour les femmes, mais les gens avaient si peur de la fièvre que ça a été impossible de les héberger. On a tenté de passer à travers cette journée du mieux possible, en regardant la ville. Plusieurs beaux édifices y sont construits…

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… particulièrement le marché qui fait face au Fleuve et à l’église française, la plus grande église que je n’ai jamais vue. Il n’y avait pas autant de vaisseaux sur les quais, parce que la plupart ne continuent pas au-delà de Québec. Quelques Indiens rôdaient sur les quais et certains voulaient embarquer à bord pour espionner les environs, mais ils en ont été empêchés pour éviter la bataille, le risque d’infection et le vol. J’ai oublié de mentionner que les marins sont des Canadiens français et nous les avons entendus chanter. Nous avons dû nous coucher sur le pont pour pouvoir dormir.

Lundi, 9 août

Je n’ai pas dormi beaucoup en raison du bruit et de querelles entre certains passagers qui étaient ivres. Tôt le matin, les bagages ont été débarqués et disposés dans des baraques où nous devrions rester pour la journée si nous ne trouvions pas d’autres endroits à loger. Père avait quelques transactions à effectuer avant de partir de Montréal. Il voulait trouver Mark McFarlane en ville et il a réussi à le voir. Certains d’entre nous devions surveiller nos bagages et les autres ont pu souper à la maison de Mark. Après avoir organisé le déplacement à Lachine, pour le lendemain, Robert et un autre passager, John Wilson, ont emmené les bagages dans deux camions. Ce que l’on appelle des camions consiste en fait en une échelle placée entre deux roues, ce qui en fait un mode de transport étroit et long afin d’y transporter des barils de farine. Nous voulions aller au Canal Rideau, mais il était fermé pour réparations. Nous avons dû partir avec le vapeur de la poste et c’est bien ainsi puisqu’il a pris la moitié du temps à faire le trajet. Nous sommes restés coucher chez Mark qui nous a offert l’hospitalité. Mark est parti travailler en l’honneur de son vieux patron.

Mardi, 10 août

Nous sommes partis vers 10h00 pour Lachine, ayant pris nos billets pour le vapeur Passport à destination de Kingston. Arrivés à Lachine, le vaisseau s’est rempli de soldats et il n’y avait pas d’espace pour nous. Père s’est plaint de la chose et un agent nous a offert de nous installer ailleurs et d’attendre le lendemain pour la venue d’un autre bateau à vapeur. Comme nous n’avions pas le choix, nous avons décidé de trouver un moyen de rester le plus confortablement installés. Robert et John Wilson sont revenus après avoir passé la nuit difficile. La nuit tombée, nous avons dispersé nos lits sur le plancher et avons essayé de dormir le mieux possible.

Mercredi, 11 août

Le bateau à vapeur Henry Gildersleeve est arrivé ce matin et nous y avons monté nos bagages. La plupart des autres émigrants qui avait fait la traversée avec nous ont pris le transport gouvernemental et nous les avons vus passer sur des barges, au soleil plombant, remorquées par des vapeurs à pas d’escargots. Après notre départ, nous sommes rapidement arrivés au Canal Beauharnois, qui aide à franchir les rapides. Le vaisseau a été stoppé quelques temps, passant par les écluses, alors que plusieurs des habitants du pays sautaient sur le bateau pour nous vendre différentes choses. Nous avons vu un bateau à vapeur descendre rapidement les rapides. Les rapides sont si violents qu’ils empêchent la remontée, mais un vapeur peut les descendre. Nous nous sommes retrouvés dans un canal à peine plus large que le pont d’un bateau, devant manœuvrer prudemment. Une fois les rapides passés, le courant du Fleuve est tout de même rapide…

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… et cela, jusqu’à Kingston. Nous faisions notre chemin entre les îles quand le soleil s’est couché.

Jeudi, 12 août

Nous sommes passés par Cornwall et par d’autres canaux pendant la nuit, évitant d’autres rapides et nous nous sommes retrouvés, au petit matin, dans le Lac des mille îles, faisant notre chemin comme si on conduisait dans les rues d’une grande ville. Le paysage était très beau et les îles sont couvertes de riches forêts. Nous sommes arrêtés sur le quai de certaines d’entre elles pour prendre du bois. Les bateaux à vapeur consomment une grande quantité de bois. La cale est pleine au départ et ils doivent se réapprovisionner 6 ou 7 fois pour chaque voyage. Nous avons vu le Yankeeland aujourd’hui, dans la ville de Ogdensburgh, mais nous ne l’avons pas approché. Nous sommes arrivés à Kingston en avant-midi, situé à l’entrée du Lac Ontario. La ville possède de grandes fortifications et deux nouveaux forts sont érigés dans l’eau, faisant face à Kingston. Le Canal Rideau se termine ici et si nous l’avions parcouru, nous serions arrivés dans une semaine.

Nous n’avions pas encore accosté, mais on a pu passer près du bateau à vapeur le Princess Royal, à destination de Toronto et qui mouillait le quai. Nous sommes montés dans ce bateau. Le bateau s’est mis en mouvement et nous pensions que nous partions pour de bon, mais ce fut de courte durée, accostant à un autre quai bondé de quelques milliers d’immigrants irlandais. Les émigrants sont aussi montés. Nous étions assez inquiets puisque plusieurs d’entre eux étaient malades et, une fois à bord, nous n’avions plus de place pour bouger. Père s’est plaint au capitaine et il a offert de payer une cabine afin de sortir de là, mais il a été reçu avec toute l’insolence du capitaine Twohey. Nous nous tous accroupis dans un coin, tentant du mieux que l’on pouvait de rester à l’écart des autres. Du pain a été distribué et nous sommes repartis. Nous avons perdu de vue l’une des côtes assez vite et, la nuit tombée, nous ne voyions plus aucune rive. Nous étions désormais en Ontario. La nuit fut très froide et comme nous étions sur le pont, l’un des marins pris de compassion à notre égard, nous a passé une bâche pour nous couvrir. Le capitaine n’a pas pris de temps à voir ceci et a ordonné que la bâche soit retirée. Frissonnants, nous nous sommes collés dans un coin, tentant de dormir et de se garder au chaud. J’ai pu dormir deux heures, mais certains n’ont pas dormi du tout.

Vendredi, 13 août

Nous avons longé la rive nord du Lac, accostant à un ou deux endroits avant d’arriver à Toronto. Il y a une longue bande de terre qui dépasse pendant un mille ou deux, avant de former une baie où se dresse un port important. Toronto se dresse sur le continent, au fond de la baie, avec plusieurs hôtels faisant face à l’eau, leurs toitures brillant au soleil. Il y a un phare à l’extrémité de la bande de terre. Ici, la cargaison d’êtres humains a pu sortir. Ils ont été traités comme du bétail, mais nous nous sommes rebellés quand ils ont essayé de faire la même chose avec nous. Ils ont été repoussés, gardés distance à l’aide de bâtons, jusqu’à temps que leurs bagages aient tous été éparpillés. Père et les frères plus vieux de mon père, William et Robert, qui nous avaient aidés à bord, ont gardé un œil sur nos bagages en les disposant tous au même endroit, avant de les mettre sur le bateau à vapeur Eclipse en direction de Hamilton. Peu après, nous sommes tous montés en sécurité à bord de ce bateau. Nous avons passé près de la baie de Burlington après quelques heures de navigation, entrant dans un canal et apercevant pour la première fois Hamilton. Nous sommes montés sur le quai. Hugh et William Wright, ses beaux-frères, nous attendaient et nous avons pu tous nous revoir enfin, après toutes ces difficultés.