Entre la lutte et la compassion : Soeur Bruyère à Bytown
« Entre la lutte et la compassion : Soeur Bruyère à Bytown » est le titre du cinquième thème de cette exposition virtuelle. C’est l’histoire de l’émancipation et de l’indépendance d’une femme qui a pris soin des immigrants de la Famine malgré les obstacles que devaient surmonter beaucoup de femmes au cours du dix-neuvième siècle au Canada. Les batailles menées par Soeur Élisabeth Bruyère, fondatrice de la communauté des Soeurs Grises à Bytown (Ottawa) en 1847 et aide-soignante des immigrants irlandais en 1847, sont racontées dans ses propres mots. Ses lettres tout à fait remarquables, écrites à la Mère Supérieure des Soeurs Grises de Montréal, Elizabeth McMullen, rapportent ce qu’il est advenu des Irlandais et Irlandaises de la Famine à Bytown et comment elle a pu traiter avec A. B. Hawke, l’Agent du gouvernement, peu réceptif à son travail.
Le professeur Mark McGowan raconte l’histoire des Irlandais et Irlandaises de la Famine à Bytown
Les Irlandais de la Famine à Bytown
et au Canal Rideau
À l’été 1847, plus de trois mille immigrants irlandais sont arrivés à Bytown (maintenant appelé Ottawa), ayant fui la « Grande Faim » en Irlande. Ils sont montés à bord de bateaux à vapeur, sur le Fleuve Saint-Laurent et sur la rivière des Outaouais, ou encore sur des barges depuis Kingston jusqu’au Canal Rideau. Les immigrants irlandais étaient examinés sur le quai Bytown, près du Nepean Point, et près des écluses du Canal Rideau. Les plus malades étaient emmenés à Soeur Bruyère et ses Soeurs de la Charité d’Ottawa, aussi appelées les Soeurs Grises, qui en prirent soin près de la Maison Carney et leur Hôpital pour les immigrants, rue Bolton (maintenant appelée la rue Bruyère). Les autres immigrants étaient emmenés dans les baraques de fortune érigés du côté ouest du Canal Rideau, là où se tient aujourd’hui le pont Laurier. Une grande communauté irlandaise était déjà présente à Bytown avant l’arrivée des immigrants de la Famine en 1847.
Ironiquement, le Canal Rideau, qui a permis aux immigrants de la Famine de se rendre à Ottawa, avait été construit par des ouvriers irlandais entre 1826 et 1832. On estime que plus de mille travailleurs sont morts durant la construction du Canal, de diverses maladies, telle que la malaria. On commémore aujourd’hui ces ouvriers par le monument de la croix celtique, aménagé à l’endroit où le Canal rejoint la rivière des Outaouais, ainsi que par une autre croix celtique à Kingston. Les immigrants irlandais de la Famine ont en quelque sorte suivi les traces de ceux qui les précédèrent, tombant malades eux aussi, mais d’une autre maladie infectieuse : le typhus ou « maladie de la fièvre des bateaux ». Dès le début du mois d’août 1847, l’épidémie de typhus a porté les autorités à fermer l’accès au Canal Rideau. Soeur Bruyère elle-même a été atteinte de la maladie, mais elle a survécu. Cent quatre-vingt-six immigrants irlandais sont morts sur les quelque six cents qui y furent traités. Soixante orphelins ont aussi été pris en charge par les Soeurs en 1847.
Bytown en 1847 et le monument aux Irlandais du Canal Rideau
Le professeur Mark McGowan au monument de la croix celtique aux Irlandais du Canal Rideau.
La compassion de Soeur Bruyère
Soeur Élisabeth Bruyère a montré beaucoup de compassion et de courage en prenant soin des immigrants irlandais de la Famine à Bytown, en 1847. Elle était entrée en religion chez les Soeurs Grises de Montréal, aussi appelées les Soeurs de la Charité, en 1841. Soeur Bruyère a rapidement trouvé sa vocation, s’occupant des enfants abandonnés et des orphelines et orphelins irlandais. Elle s’est liée d’amitié avec la Mère Supérieure de Montréal, Elizabeth McMullen, avec qui elle a tenu une correspondance pendant tout l’été 1847. En 1845, Soeur Bruyère a été mutée à Bytown, avec trois autres Soeurs, afin d’y fonder une école bilingue pour filles, un hôpital (maintenant appelé l’Hôpital Élisabeth Bruyère) et un refuge pour les plus démunis et les enfants abandonnés ou orphelins. Sa mission était d’étendre l’influence des Soeurs Grises en fondant de nouvelles institutions scolaires et sociales à Bytown, malgré le peu de moyens dont elle disposait.
Mark McGowan raconte l’histoire de Mère Bruyère
Élisabeth Bruyère et les Soeurs Grises d’Ottawa
Grant Vogl, gestionnaire des collections et expositions du Musée Bytown, parle de la compassion témoignée par Soeur Bruyère
« Son corps était noir »
Soeur Louise Charbonneau parle de Soeur Bruyère et de Mère McMullen
Soeur Bruyère et Mère McMullen
Soeur Bruyère a dû faire preuve d’abnégation pour pouvoir offrir les soins aux Irlandais et Irlandaises de la Famine, en 1847. Elle a confessé ses peurs à Elizabeth McMullen, dans les lettres qu’elle lui adressait, avant même l’arrivée des immigrants. Le 31 mai 1847, Soeur Bruyère écrit : « Nous attendons les émigrés de jour en jour ; pour ma part, je les crains à cause de la maladie contagieuse. Cependant, je ne refuse pas de les servir, mais je ne voudrais pas mourir de cette maladie, priez encore une fois pour votre fille lâche. »
Malgré ses craintes, elle a démontré beaucoup de courage durant la crise. Les premiers immigrants irlandais sont arrivés quelques jours seulement après les confessions de Soeur Bruyère. Le 5 juin 1847, les Soeurs Grises ont constaté la mort de la première victime du typhus. Dans leur Registre des malades, elles y ont entré le nom de Mary Cunningham, en y mentionnant ceci :
« La petite bâtisse en bois qui nous sert d’hôpital n’est pas terminée d’être construite et nous nous attendons à recevoir un grand nombre de patients atteints du typhus. Nous avons donc choisi d’aménager la petite maison du coin (appelée la Maison Carney) afin de pouvoir les loger. Mary Cunningham y a été emmenée le 5 juin par la Supérieure, Mère Bruyère, ainsi que par Soeur Normant, une Novice. Il fallut lui couper ses vêtements, en commençant par le dos, pour lui en remettre des propres. La pauvre enfant était inconsciente et dans un piteux état. Trop malade, elle est morte trois jours plus tard. »
Mary Cunningham fut la première d’une série de victimes irlandaises, mortes à Bytown malgré les soins prodigués par Mère Bruyère et les Soeurs de la Charité. L’une des lettres les plus troublantes de Mère Bruyère est celle du 13 juillet 1847, à propos de la jeune Anastasia Brennan, âgée seulement de neuf ans, dont le « corps était noir » et « répandait une odeur infecte à mesure que nous la remuions ». Les lettres de Mère Bruyère à Mère McMullen, des archives de première main, sont celles qui détaillent le plus précisément les souffrances vécues par les Irlandais et les Irlandaises de la Famine en 1847. Elles donnent aussi une idée de l’entraide, de l’amitié et du leadership démontrés par ces femmes, en temps de crise.
« Chère et bien-aimée Mère » : les lettres de Soeur Bruyère à la Mère Supérieure des Soeurs Grises de Montréal, Elizabeth McMullen
Sr Hagan est arrivée ici dimanche matin (13) en bonne santé. Elle a été reçue ce matin pour sa profession. Toutes nos Sœurs ont reconnu, mais trop tard, qu'il convenait que cette bonne enfant fît ses demandes chez nous, nous étions en droit. J'es père qu'une autre fois, nous serons plus sages. Si le lit de Sr Hagan n'est pas encore parti, je vous prie de le garder chez nous, il ser vira pour la première que nous enverrons aussitôt que nous le pourrons, peut-être dans le mois prochain. Je ne puis dire au juste, laquelle aura ce bonheur, cela dépend des circonstances, peut-être, sera-ce Sr Curran, car elle a bonne santé.
La semaine dernière nous avons eu une Providence: un petit marchand qu'on nomme colporteur est venu mourir ici. Il avait de la marchandise pour 25 ou 30 louis, il a légué six louis pour sa sœur qui est en Irlande; le reste nous appartient. Nous lui avons fait faire un service de seconde classe qui nous a coûté £ 1-2-6.
Bruyere to McMullen letter June 15 1847
Ce marchand a aussi un cheval qu'il nous a donné. Je l'ai envoyé chercher aujourd'hui, le messager n'est pas encore de retour. Je crains que nous ne puissions le ravoir à cause des parents du défunt qui sont peinés de n'avoir pas été les héritiers.
Le 5 du courant, nous avons reçu notre première émigrée ? qui est morte le 8. Le dix nous avons reçu un homme bien malade, mais il est beaucoup mieux. Le 11, nous en avons reçu sept bien malades, garnis de poux etc. etc.; trois sont morts le 12; nous étions bien peinées de les voir partir si vite pour l'autre monde. Cependant tous ont eu le bonheur de recevoir les derniers sacre ments. Dimanche (13) nous en avons reçu quatre. La petite maison 76 qui nous sert d'hôpital s'est trouvée si pleine que nous n'avions plus de place pour les loger. Vous auriez été bien édi fiée si vous aviez vu notre Père avec plusieurs citoyens, Cana diens et Irlandais, s'empresser de bâtir des cabanes en planches pour mettre ces pauvres gens à l'abri. Presque toutes lesSœursont donné leur paillasse, plusieurs, leur couchette. Aujourd'hui toutes celles qui possédaient encore une couverte les ont données de bon ceur pour garantir du froid et de la pluie ces pauvres malheureux. Toutes nos novices se montrent de vraies mères des pauvres, cela nous encourage beaucoup. Deux femmes seulement ont eu le courage de s'offrir de veiller avec nous, tant on a peur de prendre les fièvres. Nous ne manquons pas de veilleuses pour les malades qui sont au couvent.
Bruyere to McMullen letter June 15 1847
L'agent du Gouvernement nous fait bâtir une allonge de 33 pieds sur 20 pour nos émigrés. C'est notre bon Père qui est à la tête de cette bonne æuvre avec le frère Sweeney. Depuis que j'ai commencé cette lettre, Sr Assistante a reçu quatre mala des. J'ai fait avertir notre Père d'aller bâtir une autre cabane, parce que nous n'avons plus de place. Nous en avons 24 en tout. Ce nombre petit pour vous, ma bonne Mère, est très grand pour nous, vu le peu de place pour les loger. Hier soir, 23 malades ont couché dehors à la pluie; il a été impossible à l'agent de leur trouver une meilleure place, tous les bâtiments et les maisons [des] alentours étant pleines.
J'ai reçu le présent de notre bon Père Larré, avec beaucoup de plaisir; mais je n'ai pas encore eu le temps de visiter à loisir ce précieux envoi. Voulez-vous le remercier pour moi, s'il vous plaît; je ne puis lui écrire. Nous l'attendons avec notre très cher bon Père Billaudèle.
Je vous prie bien humblement de vouloir faire agréer nos très profonds respects à Sa Grandeur Mgr de Montréal et à nos deux Pères Billaudèle et Larré. Sr Rodriguez est ressuscitée. Allé luia! Le bon Dieu lui rend la santé à chaque époque remarquable. C'est elle qui prépare tous les remèdes et je vous assure qu'elle a beaucoup d'ouvrage.
Adieu ma bonne Mère, priez pour vos enfants qui font leur possible pour vous imiter en charité etc.
Votre toute dévouée fille,
Sr É. Bruyère
Bruyere to McMullen letter June 15 1847
[Dans la marge] Il faut que je vous dise que je suis choquée contre nos Sœurs. Je me suis préparée pour veiller les émigrés à mon tour, afin de soulager nos pauvres Soeurs, et voilà que ces chères Sœurs ont été faire des rapports à notre Père qui m'in terdit les veillées. Je n'ai pu rien gagner. Je suis choquée.
Madame Hagan ne cesse de parler de la bonne réception que vous lui avec faite; elle en est enchantée.
Des respects de la part de nos Sœurs ici à toutes nos Soeurs de Montréal, nous les prions de penser à nous dans l'exercice de leurs bonnes auvres, pour nous, nous unissons le peu que nous faisons au bien immense que vous faites.
Sr É. B.
Bruyere to McMullen 3 July 1847
Hôpital Général de Bytown,
[le] 3 juillet 1847
Très chère et bien-aimée Mère,
Il me semble qu'il y a un siècle que j'ai reçu de vos nouvelles. Comment êtes-vous?... Bien épuisée, je crois, vous et toutes nos chères Saurs. Veuillez nous tirer d'inquiétude en nous faisant écrire quelques mots par une orpheline, si les Sœurs n'en ont pas le temps. Les Gazettes et les Mélanges publient hautement votre zèle et votre charité sans bornes pour les pauvres émigrés.
Nous aussi, nous soulageons les émigrés, mais nous sommes loin d'en faire autant que vous. Malgré nos petites misères, nous reconnaissons que nous avons nos aises, lorsque nous nous com parons à nos Sœurs de Montréal. Nous avons trois salles qui contiennent 60 malades. Les convalescents sont transportés sous des tentes que les officiers du Gouvernement nous ont prêtées. Il en meurt un assez grand nombre. Il y a deux Sœurs dans chaque salle; Sr Assistante est avec Sr Phelan, Sr Xavier avec Sr Curran, et Sr Normant avec Sr Conlan, nouvelle postulante qui a fait la classe anglaise à Châteauguay. Outre les Sœurs, il y a deux filles pour les aider. Les Sœurs veillent chacune à leur tour. Nous avons des malades au couvent autant que nous pouvons en prendre. Les jeunes gens de chantiers sont très
Bruyere to McMullen 3 July 1847
complaisants, ils veillent tous les soirs avec nous à l'Hôpital des émigrés.
Nous avons des désagréments de la part de certains Ministres de l'Eglise anglaise, écossaise et wesleyennes qui ne se bornent pas à exercer leurs fonctions ecclésiastiques, mais qui veulent faire les maîtres dans l'Hôpital et nous traiter en domes tiques. Ils ont écrit sur les gazettes de Bytown sans donner leurs noms. Notre Père a écrit pour réfuter les calomnies d'une manière à ne pas indisposer les protestants, mais il a terrasse les ministres. Je ne sais si nous en demeurerons là, je crains l'avenir. Priez s'il vous plaît pour nous.
Je ne sais si je me trompe, mais je suis bien décidée à aban donner le soin de l'Hôpital des émigrés, si l'on continue à nous vexer, c'est-à-dire si ces Messieurs ont le droit de venir nous gourmander comme ils feraient à des filles de service qui ne s'ac quitteraient pas de leurs devoirs. Le Docteur est content des soins que nous donnons aux malades, il dit que nous ne pou vons faire mieux en fait de traitement, de propreté, etc. Priez, s'il vous plaît pour que tout tourne à la gloire de Dieu.
Sr Hagan ne m'a parlé des petites boîtes de fer-blanc pour les reliques que ces jours derniers. Je ferai mon possible pour vous les envoyer à la prochaine occasion.
Bruyere to McMullen 3 July 1847
La statue dessaint Joseph est rendue à Longueuil; j'espère que ce bon Père va nous apporter la paix; nous le prions aussi de donner la santé à notre chère Sr St Joseph. Je vous prie d'unir vos prières aux nôtres. Nous faisons tout ce que nous pouvons pour bien recevoir notre Père saint Joseph; j'espère qu'il est content de nous.
Une vieille Irlandaise est venue me prier de vous écrire au sujet de quatre petits enfants qu'elle a laissés entre les mains des Soeurs. Le père de ces enfants se nomme John Brennan du comté de Kilkenny. La grand-mère de ces enfants se nomme Ellen Brennan. Voici les noms des enfants: Thomas, Ann, Mary et Catherine [Brennan). Si vous les avez placés ou que vous les ayez encore sous vos soins, veuillez me le faire savoir. La grand-mère ira les chercher, elle a hâte de recevoir une réponse.
Je prie ma bonne Sr Chèvrefils de nous envoyer au plus tôt nos effets, nous en avons bien besoin; qu'elle n'attende pas Mr Charlebois, qu'elle envoie tout au hangar avec notre adresse, et nous recevrons tout.
Nous avons deux postulantes de reçues; elles entreront prochainement; une des deux a 36 ans, elle est raisonnable, n'est ce-pas? Je pense que j'aurai le plaisir de vous mener une fille au noviciat dans le cours de l'été; mais que cela ne vous empêche pas de venir, car je vous assure que votre présence est plus nécessaire ici que vous ne le pensez. Mes plus profonds respects à nos seigneurs les Evêques 9 de Montréal et Martyropolis, notre père Supérieur, Larré etc. etc. etc. Nous baisons mille et mille fois toutes nos chères Soeurs, nous les prions de nous faire une petite part dans les mérites infinis qu'elles acquièrent au service des émigrés. Pour nous, nous leur donnons tout ce que nous avons. Je voudrais écrire à quelques autres de nos Soeurs, mais je n'en ai pas le temps; qu'elles me pardonnent et qu'elles soient persuadées que je pense à elles toutes,
Bruyere to McMullen 3 July 1847
chacune en particulier. J'ai à annoncer aux économes que nous avons deux bons hommes qui se sont donnés à nous pour leur entretien; ils ont du bien tous les deux, et ils sont très capables pour toutes sortes d'ouvrage. Ce sont deux hommes de chantiers qui se sont fait soigner à l'hôpital, l'hiver dernier. Ils ont travaillé tout le printemps pour nous autres pour rien, et maintenant ils se donnent eux-mêmes.
Votre pauvre fille affectionnée,
Sr É. Bruyère
Bruyere to McMullen 9 July 1847
Ma chère Mère,
Je serais partie ce matin pour Montréal si les Sœurs n'étaient pas malades des fièvres, Srs Conlan et Curran, et une jeune fille engagère qui est très mal, nos deux jeunes Sœurs s'en retire ront bien mais je crains pour la fille...
Les Sœurs commencent à être épuisées, je ne sais si elles pourront soutenir étant si peu nombreuses et ne recevant d'aide de personne surtout pour les veillées. Nous prions pour vous, priez pour nous. Deux de nos petites filles orphelines ont pris les fièvres mais il n'y a rien de grave. Aujourd'hui nous don nons vacances aux enfants pour
Bruyere to McMullen 9 July 1847
jusqu'au 15 d'août prochain. Hier, 8 juillet, jour de votre fête et de la mienne, nous avons reçu un enfant trouvé à trois milles d'ici dans le bois; il était rôti du soleil, la peau du visage est partie; il a environ 15 jours.
Le canal est pour se fermer le 1er août, je voudrais bien recevoir nos effets s'il est possible avant ce temps-là, le crin sur tout car quelques-unes de nos Sœurs sont mal couchées, elles n'ont qu'un lit de plume sur leur planche de couchette, et d'autres que leur paillasse; nous nous sommes dépouillées pour les émigrés.
Adieu bonne Mère, croyez que nous ne sommes pas insensibles à la peine que vous avez. Notre Père fait des prières tous les matins après la messe pour la Commuauté de Montréal et la nôtre; il commence par le Salve Reginaensuite les Litanie de saint Joseph.
Nos plus profonds respects à sa Grandeur Mgr de Montréal ainsi qu’à Mgr Phelan, notre père Supérieur, et le P. Larré. Nous baisons toute nos chères maladies. Adieu, adieu. Si le frère de Sr Leblanc n’envoie pas l’argent de sa sœur, j’irai à Montréal avec notre Sr Leblanc; Mr Curran payé mon voyage.
Votre dévouée et affectionate fille,
Sr É. Bruyère
Bruyere to McMullen 13 July
[Bytown, le 13 juillet 1847]
Ma chère Mère,
Je pense que vous vous souvenez que Jean-Baptiste Le blanc 'l, frère de nos Srs Leblanc, doit à notre Sœur 1 000 dont elle a une obligation. J'ai fait mon possible l'an dernier pour retirer cet argent; j'ai fait écrire deux fois depuis, et nous n'avons reçu aucune réponse. Notre Sr Leblanc a peur d'être retardée pour sa profession, si son frère ne paye pas, et c'est ce qui lui arrivera probablement. Auriez-vous la bonté de le faire demander, et de lui dire au nom de sa sœur, qu'il faut lui remettre son argent dont il a joui jusqu'à présent sans payer d'intérêts.
Bruyere to McMullen 13 July
Il trouvera sa sœur dure dans son procédé, mais elle le prie de penser que, si elle s'était mariée, il aurait fallu, bon gré mal gré, lui remettre son argent, et que dans la circonstance où elle se trouve, elle est obligée d'agir ainsi avec lui. Je vous prie, ma bonne Mère, de ne pas laisser savoir à Sr Leblanc de Montréal que notre Sr Leblanc écrit si fortement à son frère, car cette pauvre enfant en serait vivement peinée. Adieu, ma bonne Mère, pardonnez moi de vous donner tant de trouble.
À dix heures trois quart, notre pauvre petite émigrée est morte. À une heure et demie, je suis allée l'ensevelir avec nos Soeurs. Nous n'avons pas osé lui ôter toutes ses hardes... elle répandait une odeur infecte à mesure que nous la remuions. Nous nous sommes hâtées de tout ouvrir et de la mettre dans la bière, et de la faire porter à l'église, ensuite au cimetière. Son corps était noir. Je pense que ce ne sera pas le dernier cas.
Pour toujours, votre toute dévouée fille,
Sr É. Bruyère
Bruyere to McMullen 15 July
Bytown, [le] 15 juillet 1847
Ma chère Mère,
J'ai reçu ce soir la lettre de Sr Deschamps... elle n'est pas pour nous rassurer. Dieu soit béni... Sr Lavoie est tombée des fièvres depuis le matin, et Sr Hagan ce soir. Nos deux autres sont mieux; et je m'attends bien que d'autres encore prendront les fièvres. Le nombre des émigrés malades augmente tous les jours! Je ne sais si nous soutiendrons: Fiat voluntas! La prière, la prière, notre unique arme et notre soutien. Priez quelque peu pour vos filles de Bytown qui prient pour vous de tout leur ceur. J'at tends quelques mots de temps
Bruyere to McMullen 15 July
en temps pour nous faire savoir l'état de nos pauvres Soeurs. Ma pauvre fille Nagle los, je croyais qu'elle resterait pour nous remplacer auprès de vous, pour vous soigner, et voilà qu'elle est malade à son tour. Dieu soit béni. Si elle doit mourir, j'espère qu'elle fera profession.
Adieu, bonne Mère, je prie le Seigneur de vous conserver les forces nécessaires pour soutenir tant d'afflictions, et entretenir le courage de nos pauvres Soeurs. Adieu. Le Père Molloy a le typhus. Nous le soignons dans une de leurs maisons, à côté du couvent.
Pour toujours votre enfant,
Sr É. Bruyère
H[ôpital] G[énéral) de Bytown,
[le] 29 juillet 1847
Mes bien-aimées Sœurs,
J'ai reçu la lettre de notre chère Sr Lagravell qui nous a fait beaucoup de plaisir à toutes. Comment va notre chère petite Sr Ouimet? Sa maladie nous a autant surprises que peinées! Elle qui jouissait d'une si bonne santé auparavant... Hélas ! tout passe vite dans ce monde, tout change en un clin d'ail... Que de changements depuis deux mois seulement! Je ne vous répéte rai pas les calamités publiques qui affligent le Bas et le Haut Canada, surtout notre chère Maison mère. Les Sœurs qui ont échappé à la contagion vous décriront mieux que moi les ravages causés par la plus pure charité. Déjà cinq sont allées recevoir la récompense immortelle de leur dévouement, et plusieurs autres gisent encore sur un lit de douleur, qui les verra probablement finir avant peu. Pour notre part, nous avons cinq Sœurs attein tes des fièvres typhoides; ce sont nos Sœurs St-Joseph, Hagan, Cur ran, Lavoie et Conlan. Cette dernière est postulante depuis le mois de juin dernier. Deux des filles qui nous aidaient à soigner les malades, sont aussi prises des fièvres. Le R.P. Molloy est aussi bien malade; nous le soignons dans notre hôpital. Toutes nos Sœurs sont mieux, mais il est à craindre que notre petite Sr Lavoie tombe dans le mal de poitrine. Cette bonne enfant ferait pro fession le 21 novembre prochain. Nos Sœurs Pigeon, Leblanc et Phelan sont reçues pour la profession qui aura lieu le 15 août, si le temps nous permet de leur faire faire leur retraite.
Nous avons à soigner, le jour et la nuit, plus de 60 émigrés malades des fièvres. Avant hier au soir, les RR. PP. ont admi nistré tous les malades, afin qu'aucun ne mourût sans ce secours. La contagion les emporte en moins de trois heures; heureusement le temps frais a discontinué, et un certain nombre s'en tirera. Priez pour nous, mes bonnes Sœurs, nous en avons un grand besoin. Je n'ai pas le temps de vous écrire
aussi longuement que je le désirerais; nous sommes obligées de nous servir de séculières pour veiller nos Sœurs malades, et les Sœurs veillent les émigrés. Nous sommes 17 Seurs, dont unes à Montréal; 16 ici, six sont malades, quatre à l'Hôpital des émigrés, une pour soigner le R.P. Molloy, et les autres courent au plus pressé. Nous n'avons pas le temps de faire nos exercices; j'ai été plus de huit jours sans pouvoir faire mon oraison, et les autres ont encore plus d'ouvrage que moi. Nous ne trouvons personne pour nous aider à soigner les émigrés, ni pour or ni pour argent.
Le Supérieur Général des RR. PP. Oblats nous a envoyé une très belle statue de saint Joseph, toute dorée, elle est en chemin depuis un an, et est enfin arrivée. Elle est exposée sur un autel à l'église paroissiale, où le peuple se rassemble deux fois par jour
pour demander au bon Dieu la santé des prêtres et des Sceurs malades. Tous les jours on célèbre une grand-messe, et le soir. la neuvaine à ssain]t Joseph qui se termine par la bénédiction du Très St-Sacrement. Dimanche prochain, 1er août, le clergé et le peuple en procession, apporteront notre Père s[ain]t Joseph au son du tambour et de la musique; nous mettons en lui toute notre confiance, et nous espérons qu'il obtiendra la santé à tous nos pauvres malades,
Veuillez faire agréer nos plus profonds respects à votre saint Évêquell6 et à vos bons Pères, en particulier au R.P. Aubert, et nous recommander aux prières de toutes ces saintes âmes. Pour vous toutes, nos bien-aimées Sœurs, nous vous embrassons de tout notre coeur. Nous nous recommandons de nouveau à vos bonnes prières. Il pourrait bien se faire que la prochaine lettre que vous recevrez de vos Seurs de Bytown, sera pour vous annoncer la mort de quelques-unes de nous.
Adieu, adieu, soyons toutes à Dieu; qu'il y ait toujours entre nous union de couret nous serons pour ce monde et pour l'autre vos Sœurs bien-aimées et affectionnées.
Sæur Bruyère, Supérieure
Extrait d’une lettre : Soeur Bruyère écrit à Mère McMullen, le 15 juin 1847
« La petite maison qui nous sert d’hôpital s’est trouvée si pleine que nous n’avions plus de place pour les loger. Vous auriez été bien édifiée si vous aviez vu notre Père (Telmon) avec plusieurs citoyens, Canadiens et Irlandais, s’empresser de bâtir des cabanes en planches pour mettre ces pauvres gens à l’abri.
Presque toutes les Soeurs ont donné leur paillasse et plusieurs, leur couchette. Aujourd’hui, toutes celles qui possédaient encore une couverte les ont données de bon cœur pour garantir du froid et de la pluie ces pauvres malheureux. Toutes nos Novices se montrent de vraies mères des pauvres, cela nous encourage beaucoup. »
Extrait d’une lettre : Élisabeth Bruyère écrit à Elizabeth McMullen, 13 juillet 1847
« À dix heures trois quart, notre pauvre petite pauvre petite émigrée (Anastasia Brennan) est morte. À une heure et demie, je suis allée l’ensevelir avec nos Soeurs. Nous n’avons pas osé lui ôter toutes ses hardes… elle répandait une odeur infecte à mesure que nous la remuions.
Nous nous sommes hâtées de tout ouvrir et de la mettre dans la bière, et de la faire porter à l’église, ensuite au cimetière. Son corps était noir. Je pense que ce ne sera pas le dernier cas. »
Extrait d’une lettre : Élisabeth Bruyère écrit aux Soeurs Grises de la Rivière-Rouge, le 29 juillet 1847
«Que de changements depuis deux mois seulement! Je ne vous répéte rai pas les calamités publiques qui affligent le Bas et le Haut Canada, surtout notre chère Maison mère. Les Soeurs qui ont échappé à la contagion vous décriront mieux que moi les ravages causés par la plus pure charité. Déjà cinq sont allées recevoir la récompense immortelle de leur dévouement, et plusieurs autres gisent encore sur un lit de douleur, qui les verra probablement finir avant peu. Pour notre part, nous avons cinq Soeurs attein tes des fièvres typhoides.»
«Nous avons à soigner, le jour et la nuit, plus de 60 émigrés malades des fièvres. Avant hier au soir, les RR. PP. ont administré tous les malades, afin qu'aucun ne mourût sans ce secours. La contagion les emporte en moins de trois heures; heureusement le temps frais a discontinué, et un certain nombre s'en tirera. Priez pour nous, mes bonnes Soeurs, nous en avons un grand besoin. Je n'ai pas le temps de vous écrire aussi longuement que je le désirerais; nous sommes obligées de nous servir de séculières pour veiller nos Soeurs malades, et les Soeurs veillent les émigrés.»
« C’est scandaleux » : les combats de Soeur Bruyère
En dépit de tous ses efforts, du courage et de la compassion démontrés, Mère Bruyère n’a jamais pu compter sur un grand soutien des autorités civiles du Canada-Ouest. Le Révérend S. S. Strong, un prêtre anglican qui siégeait sur la Commission de la Santé de Bytown, l’a même accusée de prosélytisme en prétendant qu’elle demandait aux patients protestants de se convertir au catholique afin de recevoir des traitements. « Nous avons des désagréments de la part de certains Ministres de l’Église anglaise, écossaise et wesleyenne qui ne se bornent pas à exercer leurs fonctions ecclésiastiques, mais qui veulent faire les maîtres dans l’Hôpital et nous traiter en domestiques », affirme-t-elle dans l’une de ses lettres à Mère Supérieure Elizabeth McMullen, le 3 juillet 1847.
Mère Bruyère a aussi été faussement accusée de gaspiller l’argent du gouvernement par l’Agent-en-chef de l’immigration au Canada-Ouest, Anthony Bowden Hawke. Hawke avait comme idée de restreindre les dépenses publiques de l’Ontario, ainsi que celles de Bytown, affectées aux soins à donner aux immigrants irlandais de la Famine. Dans ses lettres, il a parfois démontré un peu de sympathie pour les immigrants, en affirmant que « la plupart d’entre eux sont trop faibles pour travailler » et que « les fermiers ont peur de les embaucher » (20 septembre 1847), ou encore en notant que « les États-Unis les empêchent d’y entrer » (16 octobre 1847). Par ailleurs, il ne se gênait pas aussi pour relayer les préjugés habituels du temps, à l’effet que les Irlandais « étaient contents de rester dans les baraques et de se nourrir du pain de l’oisiveté » (18 janvier 1848).
Le professeur Mark McGowan discute des archives d’Anthony Bowden Hawke
Extrait des archives de Hawke, 16 octobre 1847
« Ils sont habitués à être malpropres et ils en attendent trop, côté salaire. Ils ne semblent pas entretenir de grandes ambitions et ils ne montrent pas une grande volonté de s’intégrer au nouveau mode de vie qu’ils doivent adopter.
Ceux qui ont un peu d’argent le gardent à l’abri de toute dépense et préfèrent souffrir ou même quêter dans les rues, quitte à s’humilier, pour obtenir du pain de la Commission de la Santé ou des Agents de l’immigration ; plutôt que de perdre un shilling de leurs économies. Avant cela, ces comportements étaient l’exception chez les immigrants, mais ils sont maintenant la norme, cette année. »
Un jour, Hawke a dû affronter Mère Bruyère. Condescendant, il refusait de lui rembourser les dépenses encourues pour soigner les immigrants irlandais de la Famine. « Je suis déçu de l’arrangement obtenu avec les Soeurs de la Charité », écrit-il le 29 octobre 1847, « parce que je crois que les malades auraient pu être soignés à moindres frais. » « Le gouvernement considère extravagante l’entente conclue avec les Soeurs de la Charité de Bytown », ajoute-t-il le 7 décembre 1847, demandant aux Soeurs de ne pas en demander tant. Mère Bruyère tiendra son bout, indignée qu’elle était : « Permettez-moi de vous dire que c’est scandaleux de se faire traiter comme ça », écrit-elle le 11 décembre. Elle le menacera : « d’obtenir les remboursements du gouvernement en utilisant la voie légale ». Les Soeurs Grises ont finalement été entièrement remboursées.
Les Irlandais et les Irlandaises de Bytown ont pu remercier Mère Bruyère et les Soeurs de la Charité, dans un article intitulé « Un Irlandais s’adresse aux Irlandais de Bytown et de la vallée de l’Outaouais », dans le journal The Packet : « Les Soeurs de la Charité! – des dames qui honorent l’humanité – se rangent, par leur sacrifice désintéressé, parmi les grands de la race humaine en personnifiant en elles-mêmes ce que devraient être les servantes du Ciel. Ces dames ont été les servantes des pauvres immigrants » (18 décembre 1847). En décidant d’entrer en religion et de « prendre le voile », Mère Bruyère devait se soumettre aux autorités religieuses et temporelles, dominés par des hommes. Elle a malgré tout réussi à réunir la force nécessaire, notamment grâce à l’aide de son amie, Mère McMullen, en luttant contre Hawke pour continuer à prodiguer les soins nécessaires aux Irlandais et Irlandaises de la Famine.
Choix de lettres de l’Agent-en-chef de l’immigration Anthony Bowden Hawke (Les Archives publiques de l'Ontario, Toronto Emigration Office Records, ou les archives de Hawke, Series Rg 11-1, Correspondance de l’Agent-en-chef de l’immigration, Ms 6910) et les réponses d’Élisabeth Bruyère.
Les Archives publiques de l'Ontario. Toronto Emigration Office Records, ou les archives de Hawke, Series Rg 11-1, Correspondance de l’Agent-en-chef de l’immigration, Ms 6910.
Les archives de Hawke, 16 octobre 1847, p. 153.
« Ils répandent la maladie et la mort partout où ils se rassemblent en nombre important, à un tel point que c’en est affolant. Leurs manières sont généralement assez malpropres et ils en attendent trop, côté salaire. Ils ne semblent pas entretenir de grandes ambitions et ne montrent pas une grande volonté de s’intégrer au nouveau mode de vie qu’ils doivent adopter. Ceux qui ont un peu d’argent le gardent à l’abri de toute dépense et préfèrent souffrir ou même quêter dans les rues, quitte à s’humilier, pour obtenir du pain de la Commission de la Santé ou des Agents de l’immigration ; plutôt que de perdre un shilling de leurs économies. Avant cela, ces comportements étaient l’exception chez les immigrants, mais ils sont maintenant la norme, cette année. Heureusement pour eux, ils ont plusieurs amis et de la parenté déjà établis dans la province et qui les aident – la calamité aurait frappé encore davantage sans cette aide de leurs familles et amis.
J’ai honneur,
Monsieur,
De votre vieil ami,
Signé par A. B. Hawke
Agent-en-chef de l’immigration au Canada-Ouest »
Les Archives publiques de l'Ontario. Toronto Emigration Office Records, ou les archives de Hawke, Series Rg 11-1, Correspondance de l’Agent-en-chef de l’immigration, Ms 6910.
Les archives de Hawke, 29 octobre 1847, p. 161.
« Bureau de l’immigration
Kingston, 29 octobre 1847
Monsieur,
J’ai l’honneur de transmettre ce message à l’attention du Gouverneur-Général, à l’effet que j’ai reçu une lettre hier … de Père (Telmon, P. P., Bytown), demandant le remboursement du montant dû aux Sœurs de la Charité pour les soins rendus aux immigrants – une lettre très longue. Il parle du rapport de la Commission de la Santé de Bytown. J’ai aussi reçu deux rapports de la part du Directeur de la Commission de Bytown et une lettre de l’Agent de l’immigration, G. R. Burke, sur le même sujet.
Voici ce qu’il en est sur l’histoire de cette requête. Dès le début de la saison – le 5 juin – le nombre de malades arrivant à Bytown s’est mis à augmenter si rapidement qu’on ne pouvait trouver aucun endroit où les loger. L’Agent de l’immigration a conclu une entente avec les Sœurs de la Charité, pour qu’elles logent le plus d’immigrants possible en échange de 15/67 par semaine – incluant le fait de les laver, les soigner, mais excluant les dépenses funéraires, le vin et les visites médicales. La Commission de la Santé reconnaît la légitimité de leur requête, mais n’est pas d’accord avec les charges demandées parce qu’elles ne contrôlaient pas les dépenses, elles-mêmes.
Le remboursement demandé par les Sœurs de la Charité est de £594.15.2.6/. Un tarif régulier a été fourni et l’Agent de l’immigration, M. Burke, qui l’a endossé et sera inclus dans mes comptes de dépenses pour les funérailles prises en charge par la Commission de la Santé cette année.
Je suis déçu de l’arrangement obtenu avec les Sœurs de la Charité parce que je crois que les malades auraient pu être soignés à moindres frais. Les Sœurs ont fourni les services demandés, tel qu’exigé dans l’entente conclue avec l’agent du gouvernement, mais elles doivent payer pour les dettes importantes encourues, sur le plan de l’approvisionnement en nourriture. Je vous demande respectueusement d’émettre une garantie de paiement en ma faveur, pour la somme de £594.15.2.6/ afin de pouvoir répondre à cette requête.
À S. E. Campbell, Esq.,
Signé par A. B. Hawke,
Secrétaire provincial
Agent-en-chef de l’immigration
Montréal »
Les Archives publiques de l'Ontario. Toronto Emigration Office Records, ou les archives de Hawke, Series Rg 11-1, Correspondance de l’Agent-en-chef de l’immigration, Ms 6910.
Les archives de Hawke, 2 novembre 1847, p. 165.
« Bureau de l’immigration
Kingston, 2 novembre 1847.
Cher monsieur,
J’ai reçu votre lettre du 29 octobre dernier, me demandant ce que vous devriez adopter comme position face à l’envoi de certains immigrants de Bytown à cette agence.
À ce que je puis comprendre présentement, il n’y a aucune chance que le Canal Rideau ne rouvre pendant la saison et ils doivent donc être envoyés dans le comté de Prescott ou encore être retournés à Lachine + plus loin en remontant le Fleuve Saint-Laurent.
La dernière option est, je le crois comme vous, la meilleure chose à faire et vous pourriez l’exécuter. Ce sera bien sûr une entreprise coûteuse ; comme d’envoyer ces gens de Grosse-Île à Québec, pour ensuite les avoir emmenés à Bytown – où ils n’auraient jamais dû être envoyés. Les accommoder à Kingston et le coût de leur transfert de retour via Lachine, pour enfin revenir jusqu’ici– et ce n’est pas le pire -, je ne sais vraiment pas quoi faire avec eux une fois arrivés à cette agence. Je vous en supplie, envoyez-en nous le moins possible. Obligez tous ceux qui peuvent travailler et obtenir leur pain quotidien, de le faire. Nous avons au-dessus de 1 000 personnes ici à secourir, incluant les malades, les veuves et les orphelins et nous recevons de nouveaux immigrants à chaque jour. Est-ce que les gens de Bytown ne devraient pas faire leur part comme nous le faisons ailleurs ? Comme vous le savez, aucun plan gouvernemental ne peut aider ces gens dans tous leurs déplacements. Le gouvernement doit arrêter de dépenser le plus vite possible, car les fonds d’immigration sont depuis longtemps épuisés.
J’ai l’honneur, ce soir, de vous écrire du bateau pour Toronto en raison de la mort de ce pauvre McElderry. C’était un homme remarquable & et je déplore sa perte.
À G. R Burke, Esq.,
Signé par A. B. Hawke,
Agent de l’immigration
Agent-en-chef de l’immigration, Canada-Ouest
Bytown
Bureau de l’immigration »
Les Archives publiques de l'Ontario. Toronto Emigration Office Records, ou les archives de Hawke, Series Rg 11-1, Correspondance de l’Agent-en-chef de l’immigration, Ms 6910.
Les archives de Hawke, 7 décembre 1847, p. 192.
« Bureau de l’immigration
Kingston, 7 décembre 1847.
Cher monsieur,
Le gouvernement considère extravagante l’entente conclue avec les Sœurs de la Charité de Bytown et je suis totalement d’accord, là-dessus. Dans les circonstances, si les dépenses continuent de croître, il faudra penser à conclure une nouvelle entente. Je recommanderai fortement à la Mère Supérieure, ou à celle qui dirige cet établissement, de consentir à réduire – de 20 à 25 % – le montant total demandé. Ces montants seraient de toute façon plus élevés que les montants offerts ailleurs en province. Merci de me revenir le plus tôt possible.
À G. R. Burke, Esq.,
Signé par A. B. Hawke
Agent-en-chef de l’immigration, Canada-Ouest
Bureau de l’immigration
Kingston, 8 … 1847. »
« Bytown, 10 décembre 1847
Monsieur,
L’Agent de l’immigration, M. Burke, m’a montré cette lettre et les notes que vous lui avez envoyées. M’autorisez-vous à faire quelques observations qui répondront en même temps aux questions que vous adressez dans ces documents ?
Il me semble que l’Administration et le Gouvernement ont agi de bien piètre manière à notre égard, à propos du remboursement. Était-il correct de nous faire attendre pour le remboursement, alors qu’il est bien connu que nous n’avons pas encore terminé d’ériger notre Établissement et que nous ne sommes pas en mesure d’éponger toutes les dépenses requises pour prendre en charge les immigrants ? Nous avons été contraintes de nous endetter pour en prendre soin. Au courant de l’été, nous comptions sur du crédit même si les prix étaient élevés, mais depuis cet automne, la personne qui nous aidait refuse désormais de nous avancer de l’argent de peur que le Gouvernement ne nous paie pas ; nous sommes forcées d’emprunter de l’argent, avec intérêt, afin de continuer notre œuvre auprès des immigrants. Il n’y a seulement que quelques mois de cela, nous aurions pu acheter, en argent comptant, nos aliments pour la moitié du prix que nous payons actuellement. Nous avons dû subir plusieurs pertes financières et la faute revient à l’Administration en charge des immigrants ; si nous avions été informées dès le commencement du traitement qu’elle nous réservait, nous n’aurions pas accepté les conditions.
Par ailleurs, on nous a demandé si nous pouvions réduire le montant réclamé pour chaque malade. Monsieur, le rapport de la Commission de la Santé ne vous a pas rapporté les vraies choses parce qu’il s’agit d’un rapport contenant plusieurs faussetés et mensonges ; par exemple, à l’effet que nous chargions 15/0 par semaine pour les enfants et pour les adultes. C’est faux. Nous n’avons jamais rien eu à voir avec les enfants, à l’exception de leur trouver des infirmières, ce qui n’a pas toujours été facile pour nous ; au contraire, cela a causé bien des tourments. C’est M. Burke lui-même qui a payé pour les infirmières et nous n’avons jamais vu cet argent. Ceux qui nous ont été confiés étaient malades et nous ont causé beaucoup plus de trouble du fait qu’ils étaient jeunes ; de ce fait, il fallait dépenser davantage que pour les adultes pour en prendre soin.
Est-il correct de nous demander de réduire les tarifs à la fin d’une telle saison ? Nous avons presque toutes été malades et avons beaucoup souffert ; nous avons donné tout ce que nous pouvions donner ; vous avez pris le crédit pour nos services ; enfin, c’est lorsque vous n’avez plus besoin de nos services que vous nous demandez de réduire nos tarifs ! Dites-moi sincèrement, monsieur, pensez-vous que cela est correct ? Vous connaissiez les tarifs au début de la saison printanière : pourquoi n’avoir pas fait vos remarques à ce moment-là ? Nous aurions pu possiblement répondre positivement à votre demande, car vous savez, monsieur, que notre Établissement n’est pas basé sur la spéculation. Le délai à nous rembourser fait en sorte qu’il est impossible pour nous de réduire les tarifs à ce moment-ci. L’été prochain, l’Administration pourra nous proposer ses conditions et nous pourrons proposer les nôtres. Nous accepterons alors cette lourde charge de nous occuper des immigrants si nous avons l’assurance de recevoir l’appui nécessaire pour subvenir aux besoins. Si l’Administration ne veut pas de nos services, elle ira chercher des infirmières ailleurs, si elle le peut, qui pourraient être meilleures et plus charitables que nous (si c’est ce qu’elle pense) pour prendre soin des immigrants à moindre coût.
Je demeure, Monsieur, votre humble servante,
Sœur É. Bruyère, Supérieure, General Hospital. »
« Monsieur,
Je viens de recevoir une lettre de M. Burke et une lettre de vous, datée du 7 décembre dernier.
Permettez-moi de vous dire que c’est scandaleux de se faire traiter comme ça. Je ne suis pas surprise que le gouvernement trouve que l’entente conclue avec nous est extravagante, pour nous faire attendre si longtemps pour le remboursement de nos dettes. Je me demande s’il ne va pas aller plus loin en refusant même de nous payer. Plusieurs personnes, ici, pensent qu’il ne va pas nous rembourser et on nous a conseillées de contacter des avocats afin d’obtenir, par voie légale, le remboursement de nos dettes par le Gouvernement. Le fait de demander des tarifs différents, selon les régions, ne signifie pas que nous en demandions trop. Vous devriez savoir que Bytown revêt une place plus grande pour nous que Kingston, Montréal ou Québec. Nous connaissons aussi les tarifs demandés ailleurs ; les tarifs demandés dans ces lieux où les immigrants sont arrivés sans le nécessaire pour la survie ne sont pas, contrairement à ce que vous le dites, beaucoup moins élevés que les nôtres.
Monsieur, je vais le redire, si vous aviez demandé une réduction de nos tarifs dès le début du printemps, nous aurions probablement pu y consentir ; mais après autant de grandes dépenses et après des pertes financières causées par le délai à nous faire rembourser, nous ne pouvons pas y consentir actuellement. En ce qui concerne les futures ententes à conclure, nous les examinerons lorsque nous nos dettes auront été payées par le Gouvernement. Le montant total à payer était de £834-16-3/2. Nous avons reçu 70-0-0. Le solde dû est de £764-16-372.
Votre humble servante, Sœur É. Bruyère, Supérieure, General Hospital. »
« Un Irlandais s’adresse aux Irlandais de Bytown et de la vallée de l’Outaouais », The Packet, 18 décembre 1847
Vous avez vu cette année le triste spectacle des milliers de vos compatriotes débarquant auprès de vous et souffrant des pires calamités. Ces calamités ont surpassé toute l’aide possible que vous pouviez offrir, mais les sachant souffrir autant, vous avez sympathisé avec eux. L’immigration de cette année a dérouté le Gouvernement, qui était mal préparé – aucune mesure n’avait été préalablement adoptée pour sécuriser la province des dangers qui ont accompagné la migration – aucune action n’a été prise par le gouvernement canadien pour endiguer les horreurs de la pestilence, qui a mené les réfugiés à nos côtes. Les berges de nos rivières sont devenues des tombeaux pour nombre de nos compatriotes et le dernier souffle des exilés s’est associé au son de la harpe et de la liberté, au cœur des forêts canadiennes. C’est vrai qu’un esprit désintéressé s’est manifesté au Canada et les appels de nos chers compatriotes, mourants et indigents, ont été entendus dans nos villes lorsqu’ils voulaient travailler ou se loger. Les villes de Montréal, Kingston et Toronto ont leurs hôpitaux publics, où les malades sont pris en charge par les médecins – le Gouvernement a aussi donné de l’aide afin de pourvoir aux besoins des plus pauvres et des nécessiteux. De la nourriture a été fournie en abondance. Dans ces villes, le Gouvernement a nommé des agents dédiés à offrir l’aide d’urgence nécessaire. On a aussi formé une agence de l’immigration à Bytown, mais on ne comptait sur aucun hôpital public. Le premier bateau qui est arrivé ici était chargé de pauvres immigrants malades – tous les autres bateaux qui arrivèrent ensuite ont laissé leur quota de gens malades, à tel point que la ville elle-même est devenue un lazaret. Aucun hôpital public ne pouvait les recevoir. Les habitants ne voulaient pas loger des personnes susceptibles d’amener avec elles la pestilence.
Qu’y avait-il à faire ? Devaient-ils mourir sur les quais et y pourrir ? Ou encore succomber dans les rues ? Être jetés par les membres d’équipage sur les quais visités entre Kingston et Bytown ? Impossible de se le permettre sur le plan de la santé et de la sécurité du public – aucun humain, de par ses sentiments, ne pouvait y souscrire. L’Agent de l’immigration, M. Burke, n’a vu qu’une seule chose à faire – envoyer les malades dans un hôpital érigé par la Mère Supérieure d’une congrégation catholique, à Bytown. C’était son devoir d’empêcher que les malades restent sur les quais, dans la rue et dans les champs – un affreux spectacle – répandant la maladie et la contagion en ville. S’il en avait fait autrement, il aurait eu tort. C’était son devoir et de son pouvoir de trouver toute l’aide nécessaire pour soigner ces victimes innocentes. De jour et de nuit, il s’est mis à la tâche et Bytown a vu qu’il a relevé ce défi. Est-ce que son salaire dérisoire (un salaire de conducteur de radeau) l’a empêché de voir aux soins des gens, quand la maladie – et probablement la mort – rôdaient ? Jamais !
Même les chauffeurs de Bytown, qui transportent des gens quotidiennement au cimetière ou à l’hôpital, avaient ce petit salaire en tête en accomplissant leur tâche. À l’hôpital, les malades ont été emmenés. Et à l’hôpital, les malades ont été soignés par les Sœurs de la Charité.
Les Soeurs de la Charité! – des dames qui honorent l’humanité – se rangent, par leur sacrifice désintéressé, parmi les grands de la race humaine en personnifiant en elles-mêmes ce que devraient être les servantes du Ciel. Ces dames ont été les servantes des pauvres immigrants et ont attaché de l’importance à toutes les petites tâches. Durant ce long été et cette incessante épreuve, elles ont œuvré héroïquement pour calmer l’angoisse de nos compatriotes malades – respirant l’air de la pestilence en combattant sans peur la grande faucheuse, de façon à sauver les souffrants de ses serres. Pendant les longues heures de la nuit, elles ont couché à côté des mourants – entendant les gémissants humains – et n’ayant pour seul témoin que le Ciel.
Irlandais de Bytown ! Vous savez que ceci est la vérité – vous savez que ce sont ceux-là qui ont pris en charge vos compatriotes durant ces sombres heures – vous savez très bien que toute la richesse du monde ne ferait pas cela nulle part ailleurs, ou ne forcerait quiconque à entreprendre une telle tâche et à se fatiguer, ou même à risquer le prix de sa vie. Ce n’est pas un salaire qui motivait ces femmes, mais quelque chose de bien plus grand ; elles méritent cet honneur – de la part de tous ceux et celles qui ont de la sympathie lorsqu’il y a souffrance humaine – et leur dévouement doit continuer. De lourdes dépenses affectent cet hôpital et nous avons ouï dire que le Gouverneur-Général reproche à l’agent de l’immigration d’avoir pris en charge les malheureux immigrants irlandais, malades, et refuse de payer l’hôpital qui demande remboursement à l’agent de l’immigration ! Est-ce que notre Gouvernement agit de façon irraisonnable – et contraire à toute idée de justice ? »