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Témoigner : Le journal de la Famine de Stephen de Vere
(1847-1848)


La section intitulée « Témoigner : Le journal de la Famine de Stephen de Vere (1847-1848) » présente l’extraordinaire journal personnel, encore jamais diffusé, de Stephen De Vere. Stephen De Vere a partagé le quotidien des immigrants dans la cale d’un navire transatlantique, en 1847. Il a exposé les conditions désastreuses vécues à bord des bateaux-cercueils ; sa lettre écrite à Thomas Frederick Elliot, le 30 novembre 1847, a scandalisé les parlementaires britanniques, les forçant à amender les « Lois sur les passagers » afin de rendre la traversée en mer plus humaine. De Vere a aussi rédigé des notes détaillées, dans son journal personnel, sur son voyage et sur sa visite au Canada et en Ontario en 1847 et 1848. Ses riches écrits et sa façon de décrire les paysages, les coutumes sociales et le contexte politique canadien sont inédits. Ils permettent de saisir la nature et le Canada d’alors, au moment même où les immigrants irlandais y arrivaient pour refaire leur vie. C’est la première fois que les écrits personnels de De Vere sont publiés et rendus accessibles au grand public, à l’occasion de cette exposition virtuelle.

Docteure Jane Maxwell, conservatrice-en-chef de la collection des manuscrits et des archives de la bibliothèque de Trinity College Dublin, rappelle l’histoire du journal personnel de Stephen De Vere.

Le grand domaine terrien de Stephen De Vere à Curragh Chase, dans le comté de Limerick

Stephen De Vere (1812-1904) a été l’un des plus influents observateurs contemporains de l’immigration irlandaise de la Famine de 1847. Il est né au sein d’une famille aristocrate de confession anglo-protestante, qui possédait un grand domaine terrien à Curragh Chase, dans le comté de Limerick.

Malgré sa fortune, De Vere s’est montré solidaire aux Irlandais catholiques qui louaient des parcelles de terre sur son grand domaine, les aidant à fuir la « Grande Faim » en 1847.

Imposant édifice à l’allure austère, de couleur grise, aux fenêtres barricadées, bâti sur une petite colline. De la végétation et des buissons sont aperçus à l’avant-plan.
La maison du grand domaine terrien de Stephen De Vere à Curragh Chase, dans le comté de Limerick.
Photographie d’une croix celtique de couleur grise, installée sur un socle et vue de biais. Des arbres sont visibles à l’arrière-plan.
La croix celtique de la famille De Vere, érigée sur le grand domaine terrien de Curragh Chase.
Tableau à la peinture à l’huile illustrant des arbres et un petit lac à l’avant-plan, ainsi qu’une grande maison blanche de deux étages, vue de profil. L’édifice compte plusieurs fenêtres et une terrasse avec urne et sculptures la décorant. Un ciel gris, des nuages menaçants et des collines sont aperçus à l’arrière-plan. La signature de J. H. Mulcahy, en caractères dorés, ainsi que la date de 1834, sont visibles dans le coin inférieur droit.
Jeremiah Hughes Mulcahy (1804-1899), « Paysage de Curragh Chase Curragh, dans le comté de Limerick (1834) », National Gallery of Ireland, numéro NGI 1795. Stephen De Vere a habité à Curragh Chase. Il avait vingt-deux ans lorsque Mulcahy a peint le tableau de sa maison.

Voyage dans l’entrepont d’un bateau-cercueil

En avril 1847, Stephen De Vere a pris le bateau avec ses anciens locataires, traversant l’océan Atlantique, voulant les aider à se refaire une vie au Canada. Il pouvait se payer une cabine personnelle à bord du navire, mais il a décidé de risquer sa vie en faisant le voyage dans l’entrepont. Il désirait voir de lui-même les souffrances vécues en mer par les émigrants irlandais. Il a personnellement accompagné ceux aux prises avec la malnutrition et les a aidés à se relocaliser à London, en Ontario. Il a espéré pouvoir en influencer d’autres, de son rang, à faire de même. Son journal personnel, à la couverture de cuir rouge, relate son histoire remarquable. Ce journal a été numérisé pour les fins de cette exposition virtuelle. Il expose les conditions désastreuses vécues à bord par les Irlandais et les Irlandaises, lors de la traversée transatlantique et après leur arrivée à Québec et en Ontario.

Stephen De Vere était un fin observateur de la société. Il a observé et détaillé les conditions vécues pas ses compatriotes à bord du navire sur le continent nord-américain. Il a aussi rédigé des notes précises de son voyage dans le fleuve Saint-Laurent, de Québec jusqu’en Ontario, en passant par Montréal, sur les bateaux à vapeur. De Vere a voyagé considérablement en Ontario en 1847 et 1848, avant de retourner en Irlande. Le 30 novembre 1847, il a écrit une lettre de Toronto, à Thomas Frederick Elliot, lui décrivant les horreurs qu’il a vues à bord des bateaux-cercueils et dans les bateaux à vapeur de l’Ontario. Des rapports écrits par des témoins visuels des événements de l’époque sont très rares, même si certains journaux tels que l’Illustrated London News ont parfois publié des dessins dépeignant les conditions à bord des bateaux-cercueils.

Gravure de bois en noir et blanc dépeignant deux ponts bondés d’immigrants massés dans la poupe d’un vaisseau transatlantique, ainsi qu’une foule de gens, sur les quais, venus leur souhaiter au revoir. De la fumée et une cheminée sont visibles à l’arrière-plan.
« Le départ », dessin tiré du Illustrated London News (6 juillet 1850).
Gravure de bois en noir et blanc dépeignant les conditions de vie difficiles dans l’entrepont d’un bateau. Les gens sont à l’étroit, recroquevillés sur eux-mêmes parmi les lits à deux étages. Les vêtements et les effets personnels sont éparpillés.
« Vaisseau d’émigrants », dessin tiré du Illustrated London News (10 mai 1851).
« Le voyage en mer n’en est pas encore rendu à la fin de sa première semaine que l’émigrant n’est déjà plus le même homme. »

La lettre que Stephen De Vere écrit en 1847 a eu des conséquences importantes sur les parlementaires britanniques, puisqu’elle a été lue à haute voix par le ministre des Colonies, Earl Grey, à la Chambre des Lords.

Elle fut aussi publiée dans la gazette parlementaire britannique. C’est encore le plus cité de tous les témoignages contemporains d’un voyage en mer, durant la Famine.

Selon De Vere lui-même :

Le voyage en mer n’en est pas encore rendu à la fin de sa première semaine que l’émigrant n’est déjà plus le même homme. Comment pourrait-il en être autrement? Des centaines de gens pauvres, des hommes, des femmes et des enfants, tous âges confondus, à partir du sénile délirant de quatre-vingt-dix ans jusqu’au tout petit bébé naissant, recroquevillés dans la noirceur, à court d’oxygène, ballotés dans la crasse, ne respirant qu’un air fétide, malades physiquement et aux âmes désespérées ; des patients fiévreux étendus aux côtés de passagers en santé sur des lits si étroits qu’ils rendent presque impossibles les mouvements pour tenter de calmer le mal incessant, leurs délires d’agonie perturbant tous ceux qui les entourent, les préparant mentalement à être plongés aussi dans la contagion…

« Rassemblés comme des cochons »
Les immigrants irlandais sur les bateaux à vapeur canadiens

J’ai vu des bateaux à vapeur non-ventilés, petits et exigus, arriver au quai de Toronto, après un trajet de quarante-huit heures en partance de Montréal. Des bateaux fétides chargés de 1 000 à 2 000 émigrants de tous âges et des deux sexes, envoyés par le Gouvernement. Les gens en santé, tout juste arrivés d’Europe, étaient entassés auprès de gens à moitié guéris et tout juste sortis de l’hôpital. Personne ne pouvait s’étendre et presque personne ne pouvait s’asseoir. Des cas de fièvre ont été remarqués sur à peu près tous les bateaux – certains sont morts – les cadavres et les vivants serrés les uns sur les autres. Parfois, les passagers étaient installés sur des barges à aires ouvertes, remorquées par les bateaux à vapeur, rassemblés comme des cochons qu’on entasse sur les quais de paquebots à Cork ou à Bristol. Une pauvre femme est morte à l’hôpital ici, déjà faible et défaillante, après avoir été écrasée dans l’une de ces barges. En accompagnant l’Agent de l’immigration lors d’une visite sur l’un de ses vapeurs, je l’ai moi-même vu chanceler à cause de l’air fétide qui se dégageait sur le pont.

Le journal de la Famine de Stephen de Vere

Malgré l’influence certaine de Stephen De Vere, le journal personnel qu’il a écrit lors de sa traversée de l’Irlande au Canada en 1847-1848 est demeuré très peu connu. Son histoire du voyage en mer et les observations qu’il a faites en Ontario, ont été rédigées dans un ouvrage, à la couverture de cuir rouge. Il n’a pas été publié et c’est la première fois qu’il est rendu accessible au public grâce à cette exposition virtuelle.

En avril 1847, Stephen De Vere a pris le bateau avec ses anciens locataires, aux prises avec la malnutrition, voulant les aider à se refaire une vie près de London, en Ontario. Il a espéré pouvoir en influencer d’autres, de son rang, à faire de même. De Vere a voyagé considérablement en Ontario en 1847 et 1848, avant de retourner en Irlande.

Passages importants

Stephen De Vere, Plumes sacrées (Peter Jones) et les pensionnats autochtones

Le 23 juin 1848, Stephen va à la rencontre du prêtre méthodiste et chef Ojibwa Peter Jones, aussi nommé Kahkewaquonaby (Plumes sacrées) dans le « village indien de Munsee Town », dans le sud-ouest de l’Ontario. Il rapporte qu’il a « soupé avec le Révérend Peter Jones, le Chef indien & et un missionnaire Wesleyen marié à la fille d’un patron anglais, qui est tombée en amour avec lui à Londres et qui l’a suivi en Amérique. » Un an plus tôt, alors chef des Mississauga de la Rivière au Crédit, Peter Jones avait souscrit £12.10 « au fonds d’aide pour les Irlandais et Écossais de la Famine », au nom des « tribus indiennes du Canada-Ouest ». De Vere a ainsi décrit Peter Jones dans son journal : « Il est très éduqué. Il a écrit des livres sur les hymnes, en indien et en anglais, qu’il m’a offerts. En Angleterre, il a récemment amassé 1 000£ afin de construire une école ayant pour objectif d’éduquer les Indiens à l’agriculture et aux autres matières générales. »

Dans les faits, De Vere a constaté la fondation des premiers pensionnats scolaires autochtones au Canada. Il écrit que « les Munsee et les Chippewaya ont fourni 200 acres afin d’y construire l’école, pour laquelle ils se sont entendus à fournir tout le nécessaire. » Peter Jones a déménagé à Munceytown en 1848, afin de superviser la construction du pensionnat scolaire Mount Elgin, étant aussi désigné comme son intendant. Mais Peter Jones avait déjà démissionné de ce poste lorsque Stephen De Vere le visitera. Tombé malade, Peter Jones a démissionné puisque la direction du pensionnat n’allait pas être sous contrôle autochtone. D’ailleurs, De Vere mentionne que « Jones n’approuve pas le système gouvernemental qui devrait soutenir les Indiens – ils deviennent ainsi paresseux et dépensiers. » En somme, De Vere note que Peter Jones a fini par finalement répudier le système de pensionnant scolaire autochtone qu’il aida pourtant à mettre sur pied.

Photographie en noir et blanc d’un homme d’âge mûr, aux cheveux foncés et aperçu de profil, à partir de la taille, habillé de vêtements traditionnels d’un peuple autochtone du Canada et tenant un calumet de la paix dans ses mains.
Photographie du Chef des Mississauga de la Rivière au Crédit, Peter Jones, aussi connu sous le nom de Kahkewaquonaby (Plumes sacrées), prise en Écosse en 1845, trois années avant sa rencontre avec Stephen De Vere.
Article d’un journal en noir et blanc, intitulé D’autres souscriptions au fonds commun d’aide.
Rapport d’archives du montant donné par les peuples autochtones « au fonds d’aide aux Irlandais et Écossais de la Famine », au nom des « tribus indiennes du Canada-Ouest », paru dans le journal le Montreal Transcript du 23 avril 1847.
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La couverture journalistique canadienne du voyage de Stephen De Vere :
« Un homme tenace et dévoué »

En bout de ligne, Stephen De Vere a laissé l’héritage suivant : celui d’aider à protéger les immigrants irlandais en mer en plus de livrer un témoignage contemporain des souffrances qu’ils ont vécues. Il était un « homme fortuné et le propriétaire de plusieurs grands domaines terriens dans le sud de l’Irlande », comme le rapportait le British Canadian (20 mai 1848), mais il a tenu à accompagner ses anciens locataires lors du voyage transatlantique :

« Il a lui-même décidé de tenter l’expérience… Il a choisi une douzaine de volontaires parmi ceux et celles qui auraient voulu l’accompagner avec plaisir. Avec eux, il a pris la mer pour Québec, dans l’entrepont de l’un de ces bateaux ordinaires de passagers. Grand propriétaire terrien et locataires ont voyagé ensemble ; le premier tenant un carnet pour noter ce qui se passait durant la traversée. »
Article d’un journal, sur deux colonnes, intitulé L’émigration.
British Canadian, 20 mai 1848.

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Paragraphe d’un article de journal, intitulé Émigration, où les mots manuscrits de Toronto et de Church sont lisibles dans les coins supérieurs.
Un article non-daté du Church de Toronto (circa 23 mai 1848), rendant hommage à Stephen De Vere.

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Article d’un journal, long de trois paragraphes. Les mots manuscrits Toronto Patriot, 23 mai 1848 sont visibles dans le haut de la page.
Toronto Patriot, 23 mai 1848.

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Avant de retourner en Irlande en 1848, un journal catholique, le Church de Toronto, a pris le soin de le présenter comme « un homme tenace et dévoué ». « À Toronto, il a régulièrement visité les hôpitaux, là où la fièvre et la contagion faisaient rage. Accompagné de l’Agent de l’immigration (McElderry), il est monté sur les bateaux à vapeur remplis de passagers et il a aussi inspecté les baraques de fortune érigées pour les immigrants », écrira, de son côté, le Toronto Patriot, le 23 mai 1848.

En fin de compte, Stephen De Vere a été inspiré par les soignants canadiens qui s’occupèrent des Irlandais et des Irlandaises de la Famine, tels qu’Edward McElderry et l’Évêque Michael Power, tous deux commémorés dans l’Ireland Park de Toronto, ainsi que du médecin, le Dr. George Robert Grasett. Il a travaillé aux côtés d’eux, en se souciant des immigrants malades et en montrant les sacrifices que ces derniers ont dû faire. Le journal personnel, et encore jamais publié, qu’a écrit De Vere est une source inestimable de l’histoire de l’immigration des Irlandais et des Irlandaises de la Famine au Canada, ainsi que de leur établissement en Ontario en 1847-1848.

Une biographie de Stephen De Vere

Le journal personnel, et encore jamais publié, qu’a écrit De Vere est une source inestimable de l’histoire de l’immigration des Irlandais et des Irlandaises de la Famine au Canada, ainsi que de leur établissement en Ontario en 1847-1848.

Lire la biographie

Photographie en noir et blanc du visage d’un vieil homme chauve, à la barbe florissante. La légende, sous la photographie, se lit comme suit : Sir Stephen De Vere, frère aîné du poète.
Le portrait de Stephen De Vere à un âge avancé.