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Le British Canadian de Toronto, Samedi 20 mai 1848.

« L’émigration

On nous a promis de ne pas être inondé, cette année, de la même vague effrayante d’indigence et de maladies, comme celle qui nous a été envoyée par le gouvernement impérial à l’été 1847. Le projet de loi menaçant du gouvernement du Canada sur l’immigration, ainsi que l’Acte adopté par la législature impériale nous portent à croire qu’ils auront effet sur les courtiers et les propriétaires de bateaux – en leur montrant qu’ils y perdront en tentant encore une fois de procéder à la traite humaine mortelle, qui leur a été si profitable la saison dernière. Deux groupes sont particulièrement à blâmer pour les horreurs de l’an passé – ceux engagés dans la traite et le gouvernement britannique – le premier, en ne cherchant que le profit, de façon cruelle et sans aucun scrupule; et l’autre, pour avoir « permis le gaspillage » de vies humaines, en ne passant aucune loi pour stopper la cupidité et l’avarice des profiteurs de cette traite. Nous ne sommes pas, nous, gens du Canada, complètement innocents. Nous avons protesté, mais nous avons attendu beaucoup trop longtemps avant de le faire et, quand nous l’avons fait, nous n’avons pas parlé assez fort. Cependant, les choses horribles qui se sont produites nous ont enseigné une leçon, et ce sera notre seule faute si nous souffrons autant pour une deuxième fois. Les statuts impériaux, même si, comme nous l’avons déjà dit, sont souvent déficients, sont assez stricts et ont été suivis par des Décrets en Conseil, sous l’autorité de l’Acte, et servent à renforcer le respect de la propreté et les règles à bord des bateaux – le fait que les capitaines et les officiers négligèrent ceci, tout comme le firent les passagers, a été la cause de la fièvre. Une grande partie du blâme, pour la fièvre, a été renvoyée aux immigrants eux-mêmes, mais quand on se rappelle que ces pauvres gens ont été entassés tels des nègres dans les bateaux d’esclaves, et qu’ils ont été privés de toute commodité naturelle – personne n’étant là pour soigner leurs malades – il juste de condamner cette pratique et non pas les malheureux qui ont été sacrifiés, mais il est aussi juste de condamner ceux qui les ont mis sur ces charniers-flottants, ne s’en souciant jamais et ne voulant seulement que faire de l’argent. ‘Les intérêts sur les expéditions’ jappent fort contre la nouvelle loi et le journal Willmer and Smith’s devint le conseiller des marchands de passagers de Liverpool, sans succès. Il se peut que la loi empêche une immigration ayant de la valeur, pour un certain temps, mais ce problème sera remédié bientôt, quand tout le dossier sera connu ; et il est mieux de se dire que nous perdrons quelques colons d’importance, que de souffrir de la même arrivée d’immigrants, telle que vécue. Notre gouvernement doit cependant voir à faire respecter les réglementations sur le transport des immigrants dans notre propre pays. On ne doit pas en voir entassés 1 000 ou 1 200 dans un même cargo, comme nous avons pu le voir l’été passé.

Le supposé Secrétaire aux Colonies a lésiné longtemps avant de s’intéresser au sujet et les plaintes émanant de la colonie ont pris du temps à se rendre au Ministère des Colonies. « Nous n’encourageons pas l’émigration », ont dit les hommes au pouvoir. « Nous ne voulons pas causer de malheurs. » Au final, le grand Earl a fini par comprendre que quelque chose devait être fait pour contrer les malheurs que le gouvernement a engendrés; en temps et lieu, nous pourrons peut-être même convaincre les oreilles les plus endurcies à Downing Street, à l’effet que les bras de l’Empire – les colonies – ont besoin de directives claires face à l’immigration. Fondez des villes organisées et prospères et vous aurez de belles colonies. Envoyez-nous des gens capables de travailler et de trouver de l’emploi et vous créerez de la richesse pour les colonies, pour eux et pour l’Empire ; et les liens entre l’Amérique du Nord britannique et la Mère-Patrie seront solidifiés par affection et (comme Earl Grey et les Utilitariens aiment le dire) par INTÉRÊT.

Nous devons les améliorations effectuées jusqu’à maintenant à nos remontrances, aux plaintes formulées dans les journaux et à certaines actions de l’entreprise privée et de philanthropes. Décrivons quelques faits.

Parmi les grands propriétaires irlandais qui souhaitaient trouver un asile à leurs locataires s’en trouvaient un qui ne désiraient pas seulement se débarrasser de ses gens – il est possible qu’il y en ait eu d’autres comme lui, mais cela fut l’exception. Steven E. De Vere, Esq., un riche propriétaire de quelques domaines dans le sud de l’Irlande, avait entendu parler des malheurs et des souffrances endurés par les émigrants partant pour notre Province, a lui-même décidé de tenter l’expérience. Il n’a pas décidé d’organiser le transport de centaines ou de milliers de ses locataires, en restant à la maison et en tentant d’en savoir le moins possible sur ce qu’ils allaient advenir ultérieurement ; il a décidé d’y aller et voir ce qui se passait. Il a choisi une douzaine de volontaires parmi ceux et celles qui auraient voulu l’accompagner avec plaisir. Avec eux, il a pris la mer pour Québec, dans l’entrepont de l’un de ces bateaux ordinaires de passagers. Grand propriétaire terrien et locataires ont voyagé ensemble ; le premier tenant un carnet pour noter ce qui se passait durant la traversée. Nous n’en dirons pas plus sur le voyage, qui ressemblait à tous les autres voyages de cette trempe – la maladie, les mauvaises conditions et la misère étaient au rendez-vous, comme nos lecteurs le savent maintenant très bien – et la fièvre a pu être importée ici, transportée par nos valeureux amis et citoyens. Des procédures furent entamées contre le Capitaine à Québec, qui a été obligé de payer un certain montant pour le bénéfice des immigrants qui ont soufferts de la traversée

M. De Vere s’est rendu dans le Haut-Canada et a pu noter toutes les étapes du voyage, jusqu’à la destination finale – celle des tombes des gens qui sont tombés malades de la fièvre. À Toronto, ce philanthrope a offert son aide au bureau de l’immigration et a collaboré avec l’infatigable et regretté McElderry, l’accompagnant sur chacun des bateaux à vapeur bondé de cette misérable cargaison, transmettant l’information, tirée de son expérience, ‘aux autorités concernées’. Il était satisfait de l’organisation générale de nos hôpitaux; mais offusqué, comme tout le monde l’était, de voir comment les pauvres gens y avaient été emmenés. Quelques-uns des bateaux à vapeur rappelaient à certains les horreurs de la traversée en mer. Ses locataires ont souffert de la fièvre, mais il se sont rétablis, constamment surveillé par M. De Vere.

L’enquête qu’il a faite, dans les menus détails, a été exposé devant les membres de la Chambre des Lords et du Secrétaire aux Colonies. Étant connu de ces gens de pouvoir, ses écrits ont eu une bonne résonance, car ils ne pouvaient pas être vus comme ceux d’un homme intéressé, mais plutôt comme ceux d’un homme qui veut le bien de ses compatriotes. Notre Province doit le remercier, tout comme la population émigrante de la Mère-Patrie. Peu d’hommes ont ainsi agi dans la plus pure des abnégations ; et nous pouvons voir que cela a porté fruit. M. De Vere retournera bientôt en Angleterre et nous avons décidé de rendre ses opinions publiques dans notre journal, afin que le message se rende et que des améliorations puissent être faites, puisque celles effectuées jusqu’à maintenant ne sont pas suffisantes. Une chose est sûre. Les informations qu’il a recueillies doivent être comprises par le Gouvernement; parce qu’il les a obtenues lui-même, on the spot, en observant de ses yeux ce qui est arrivé.

Les efforts de M. De Vere ont déjà donné des résultats et les lettres qu’il a écrites à Earl Grey, qu’il nous est permis de publier ici, ont été à la source de l’adoption des récentes ordonnances impériales :

‘ L’état effrayant des émigrants irlandais arrivant au Canada, malades et accablés, doit être attribué sans doute à l’indigence et aux maladies ayant cours en Irlande ; mais tout a été aggravé par le manque de propreté, de ventilation et d’une bonne économie sociale lors des traversées.

Ayant moi-même connu les conditions vécues dans la cale d’un bateau d’émigrants pendant deux mois, afin de m’informer sur l’état des émigrations depuis leur départ, je peux dire, pour l’avoir vu, que les règles qui devraient assurer le confort et la santé des passagers sont tout à fait inadéquates et qu’elles ne peuvent pas être améliorées sans le grand dévouement et les compétences des agents du Gouvernement.

Le voyage en mer n’en est pas encore rendu à la fin de sa première semaine que l’émigrant n’est déjà plus le même homme. Comment pourrait-il en être autrement? Des centaines de gens pauvres, des hommes, des femmes et des enfants, tous âges confondus, à partir du sénile délirant de quatre-vingt-dix ans jusqu’au tout petit bébé naissant, recroquevillés dans la noirceur, à court d’oxygène, ballotés dans la crasse, ne respirant qu’un air fétide, malades physiquement et aux âmes désespérées ; personne n’est là pour les soigner ou les encourager. La nourriture est généralement mauvaise et rarement suffisamment cuite. L’eau, en quantité à peine suffisante pour la boire ou pour faire la cuisine, ne peut servir à se laver.

Le navire –, du Capitaine –, de –, parti de Londres le 29 avril 1847, a pris 49 jours pour arriver à Québec, les passagers devant compter sur de la nourriture offerte par les propriétaires. L’eau fourni à bord était abondante, mais la quantité qui était servie aux passagers était si minime qu’ils devaient jeter leurs provisions de sel et le riz par-dessus bord, leur nourriture la plus importante, parce qu’il n’y avait pas suffisamment d’eau pour cuisiner et pour boire après le repas. Ils ne pouvaient se laver qu’une ou deux fois par semaine, mais, ce faisant, ils ne pouvaient manger.

J’ai vu des personnes qui sont restées alitées pendant des jours dans leurs sombres couchettes, parce qu’ils y souffraient moins de la faim, tout en étant obligés de jeter leurs provisions de sel par manque d’eau. Aucune mesure de propreté n’existait. Les lits n’étaient jamais aérés. Le Second n’est jamais entré dans l’entrepont pendant tout le voyage. La nourriture qu’il avait été convenue d’offrir aux passagers était donnée, pour la forme, mais les mesures n’étaient respectées (quand on offrait l’eau et différents aliments séchés). Par exemple, le récipient utilisé pour la distribution d’un gallon ne contenait que ¾ de gallon. Une fois ou deux par semaine, des spiritueux étaient vendus aux passagers et les scènes mettant des fripouilles en vedette sont indescriptibles ; aucune lumière n’était permise parce que le bateau était chargé d’allumettes et de Poudre du Gouvernement pour les besoins de la Garnison de Québec. Le système des agences de l’immigration est inadéquat et ne peut sévir afin de faire respecter les ‘Actes sur les passagers’ quant à la préservation de la propreté et à la ventilation sur les navires. Un assistant monte à bord lorsqu’on arrive à un port, interroge le Capitaine et demande si quelqu’un veut loger une plainte. C’est une farce, puisque le Capitaine s’arrange ‘pour garder les gens à l’écart de ce gentleman’ et même s’ils le pouvaient, ils ne pourraient pas entamer des procédures, eux qui sont sans amis, sans argent, ignorants, découragés et seulement contents d’enfin pouvoir arriver à destination.

J’ai menacé de poursuites le Capitaine, et je lui ai fait payer une comme considérable à remettre aux soins de fonds dédiés aux immigrants indigents ; et j’ai eu l’information, par des immigrants que je connais bien, arrivés cette année, que mon bateau était l’un de ceux arrivant au Canada, le mieux ventilé et le plus confortable.

Maladie et mortalité parmi les immigrants, ainsi que la propagation de maladies infectieuses au Canada, ne sont pas les pires conséquences de ce système atrocement négligent et mauvais. La conséquence la plus terrible consiste en l’état de pure démoralisation dans lequel se retrouvent les immigrants, autant hommes que femmes – en raison de la crasse, de la maladie et de l’avilissement qui les ont happés pendant deux mois de traversée.

L’immigrant ainsi affaibli arrive en Amérique, sans en avoir le cœur et sans vouloir travailler. Il a perdu son estime de soi et il ne se tient plus debout.

J’ai détaillé ici des faits que j’ai vus de mes propres yeux et je crois que le Gouvernement doit trouver des solutions, car il a déjà admis le principe à l’effet que les lois régissant les navires de passagers relèvent de l’État. Je suggérerais, sur les bateaux, que l’on sépare les gens mariés, les hommes célibataires et les femmes célibataires ; que l’on mette à disposition un dispensaire pour les malades et les infirmes ; que l’on nomme, aux frais du Gouvernement, un médecin expérimenté pour tous les navires ayant plus de 50 personnes à bord – qui serait en même temps l’Agent de l’immigration du bateau, aux pouvoirs d’enquête ou de poursuite en cas de plaintes, et travaillant de concert avec l’Agent de l’immigration du port, une fois le bateau arrivé à destination, afin que les mesures adoptées dans les ‘Actes sur les passager’ soient respectées.

L’un des avantages résultant d’un voyage amélioré serait le développement rapide de la colonisation au Canada, par des gens respectables et ayant un peu d’argent, qui ne veulent présentement pas y aller compte tenu des horreurs de la traversée et de l’état de désœuvrement qui affecte plusieurs des nouveaux arrivants actuels.

Toronto, 20 juillet 1847. »

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